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mains, tel visage, telle ceinture qui sont traités d’une façon très remarquable. Malgré le côté forcément mélodramatique du sujet, il est difficile de voir une ordonnance plus simple. Cela est fort habile et ne fait qu’augmenter l’impression, qui n’est distraite par aucun épisode particulier et se concentre forcément sur l’action générale. Ce n’est point un chef-d’œuvre, mais c’est une bonne, une très bonne toile. M. Robert-Fleury fils a fait de grands et visibles efforts pour arriver à la vérité ethnographique ; presque tous les personnages ont le type slave, la pommette saillante, le front large, l’expression à la fois rêveuse et exaltée. Je me demande vainement pourquoi il a donné à ses deux moines des physionomies essentiellement italiennes. Il y a là une erreur ou une intention qui m’échappe. Les moines des couvens catholiques de Pologne sont des Polonais, et souvent même ils ont fait parler d’eux glorieusement pendant les guerres d’indépendance, ne fût-ce que ce père Marc qui joua un si grand rôle dans les affaires qui suivirent la confédération de Bar. Ceci n’est qu’une critique de détail, et je ne la ferais même pas, si je n’étais convaincu que M. Tony Robert-Fleury a raisonné chaque partie de son tableau et n’a rien laissé au hasard. Son originalité n’est pas encore entièrement dégagée ; il est si difficile et quelquefois si long de briser tout à fait sa coquille ! Je vois là, dans cette œuvre si importante et si honorable, quelques vieilles réminiscences qu’on dirait empruntées à M. Paul Delaroche et à M. Gallait : avec un peu d’étude et un peu d’effort, le jeune artiste arrivera facilement à produire des ouvrages tout à fait personnels et dignes d’une approbation sans réserve.

M. Tony Robert-Fleury a eu ce bonheur rare de trouver un nom justement célèbre au fond de son berceau. Si noblesse oblige, réputation impose. L’heure est propice pour occuper une place enviable dans l’école française, qui ne sait plus ni ce qu’elle veut, ni où elle va. M. Fleury fils saura-t-il prendre la tête de ce régiment en déroute, qui regarde de toutes parts pour savoir vers quelles sensualités nouvelles souffle le vent de la mode et du succès éphémère ? Je le voudrais, et j’ose l’espérer. S’il se sent au cœur cette grande ambition désintéressée des faciles triomphes de la camaraderie et dédaigneuse des gains rapides, qu’il ferme l’oreille aux bruits du dehors ; l’air est mauvais et murmure des conseils pernicieux. Qu’il vive en lui-même, devant la nature et avec les poètes ; qu’il aime son art par-dessus tout et qu’il lui sacrifie tout, même son envie de parvenir ! Par le sujet qu’il a choisi et traité, il prouve qu’il possède un esprit généreux et apte à comprendre le vrai ; c’est déjà considérable, et s’il peut arriver à bien se persuader que l’artiste a, lui aussi, une mission à remplir, que son unique raison d’être n’est pas simplement de mettre de jolies couleurs les unes à