Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Toutes les personnes qui ont visité les dernières expositions de beaux-arts faites au Palais de l’Industrie se rappellent le grand jardin qu’on avait établi dans la nef principale. Ce lieu de repos charmant pour les promeneurs était réservé à la sculpture. Dernièrement on fit une exposition de chevaux ; il fallait bien se conformer à ce goût factice pour les choses hippiques qui semble depuis quelque temps avoir affolé la France. L’emplacement consacré aux statues fut abandonné aux évolutions des bidets de poste, des carrossiers et des pouliches ; on en fit un manège. Aujourd’hui le jardin n’est plus : au lieu de l’oasis, il n’y a qu’un désert ; les centaures ont chassé Phidias. Ce sont, dit-on, les sculpteurs qui ont demandé et obtenu cette pitoyable modification. Dans le jardin, les statues, éclairées par un jour diffus et de reflet, étaient singulièrement amollies dans leurs contours et n’offraient guère de loin que des silhouettes indécises : je le veux bien et ne disputerai pas. L’administration, qui doit être fort embarrassée pour satisfaire toutes les exigences, s’est prêtée de bonne grâce aux observations des statuaires, et elle leur a accordé ce fameux jour d’atelier à quarante-cinq degrés qu’ils réclamaient à grands cris. Dans un long couloir où souffle un incessant courant d’air, on a exposé les statues en face de larges fenêtres qui versent sur elles un jour blanc et plus aigu qu’il ne convient : l’endroit est désagréable et malsain ; aussi l’on n’y va guère et l’on n’y reste pas. Il me semble que dans cette organisation nouvelle on a simplement oublié que les statues ne sont point des bas-reliefs, qu’elles sont ronde-bosse, que, pour les apprécier en connaissance de cause, il faut pouvoir les examiner sous leurs différens aspects, tourner autour, comparer le dos à la poitrine et la chevelure au visage. Aujourd’hui elles sont parfaitement éclairées de face ; mais c’est là tout, le reste baigne dans l’ombre et demeure d’autant moins visible que le jour des fenêtres frappe directement aux paupières le curieux mal appris qui s’imagine qu’un groupe en marbre peut être regardé de tous côtés. Une semblable distribution de lumière ne serait tolérable que si chaque statue était placée sur une selle à pivot. Les sculpteurs feront bien, l’année prochaine, de redemander leur ancien jardin ; je suis persuadé qu’on s’empressera de le leur rendre, à moins toutefois qu’il ne soit retenu d’avance pour une exhibition de bestiaux ou de volailles. De tels et si pénibles malentendus seraient-ils possibles, si Paris possédait enfin un local spécialement approprié aux expositions des beaux-arts ?

Les principaux maîtres de la statuaire se sont abstenus cette