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cours, reprochant à son propre frère une indifférence dont celui-ci n’était pas coupable, et elle abaissait au niveau de leur froideur ou plutôt de leur impuissance les conditions de son suppliant appel. Quand la révolution elle-même eut engagé la guerre et coupé court aux hésitations de l’Europe, le péril intérieur lui paraissant aussi ne plus laisser place à nul ménagement ni à nul espoir, elle appela de nouveau l’invasion étrangère et s’offrit même, il faut le dire, à la diriger. Mercy lui avait écrit dès janvier 1792 :


« Si la guerre éclate, il sera bien important que l’on sache aux Tuileries les mouvemens de chaque jour et les intrigues de tous les partis. Il faudrait à cet effet des observateurs bien intelligens et actifs par qui on établirait un concert de notions et de mesures. Sans cet accord, bien des choses essentielles échapperont. On supplie de faire attention à cette remarque. »


La vraie réponse au billet de Mercy fut ce court et terrible billet chiffré de Marie-Antoinette ; le déchiffrement en est aux archives de Vienne, de la main même de Mercy.


« 26 mars 92. — M. Dumouriez, ne doutant plus de l’accord des puissances par la marche des troupes, a le projet de commencer ici le premier par une attaque de Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du conseil d’hier ; il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes et prendre toutes les mesures convenables. Selon toutes les apparences, cela se fera promptement. »


Le volume de M. d’Arneth se termine par un billet de Mercy, en date du 9 juillet 92, qui supplie la reine de se jeter hors de Paris, s’il lui est possible, afin de « mettre un espace entre soi et les brigands. » Qu’on évite seulement d’être entraîné dans les provinces méridionales, et dans un mois on sera sauvé. — Voilà donc les proportions du tableau final, qu’on en est venu, à force d’aveuglement, jusqu’à ne plus se figurer que comme une horrible lutte entre des brigands ameutés et une malheureuse reine ! Sans doute la journée du 20 juin avait été un sinistre épisode qui faisait prévoir un 10 août ; sans doute l’excès d’audace des jacobins annonçait de cruelles extrémités. N’y avait-il plus cependant, quand sonnait le clair appel de la guerre étrangère, d’autre rôle pour la cour et pour la reine que de proclamer qu’on avait à fuir l’assassinat ? Par quelle fatalité arriva-t-il que l’honnête Louis XVI, presque seul d’entre ces Bourbons à l’humeur facilement belliqueuse, se trouvât incapable de monter à cheval et d’entraîner tout un peuple à sa suite ? Par quelle déplorable destinée Marie-Antoinette elle-même, fille de Marie-Thérèse et digne par plusieurs côtés