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Quelles qu’aient été les émotions de la femme, comment la reine a-t-elle accueilli le secours politique qui lui était offert ? A-t-elle rendu témoignage à la généreuse ardeur de Mirabeau, et son suprême bon sens l’a-t-il subjuguée ? A-t-elle subi en quelque mesure cet ascendant, ce charme dominateur que l’éloquent tribun exerça sur tant de fermes esprits ? Lui accorda-t-elle passagèrement du moins sa confiance ? Si la sincérité de Mirabeau fut incontestable dans une négociation qui devait rapprocher des éléments si divers, la révolution et la cour, un orateur populaire et une reine, quelle part de sincérité y apporta-t-elle ? Ces notes émouvantes, où nous admirons encore aujourd’hui un noble dévouement et une singulière clairvoyance, ont-elles été par ceux auquels elles s’adressaient méditées et comprises ?

Les premiers engagemens que Mirabeau accepte sont des derniers jours d’avril 1790. Dès le 9 mai, la reine écrit à Mercy : « La négociation va son train ; mais autant le premier jour elle m’a plu, autant en avançant j’y vois des inconvéniens majeurs ; » le 12 juin : « La négociation avec M… se suit toujours, et, s’il est sincère, j’ai tout lieu d’en être contente. » Elle est en garde, elle se défie, et cependant elle a pu lire déjà ces lignes écrites par Mirabeau avec un accent qui devait convaincre : « Je promets au roi loyauté, zèle, activité, énergie, et un courage dont peut-être on est loin d’avoir une idée. Je lui promets tout enfin, hors le succès, qui ne dépend jamais d’un seul, et qu’une présomption très téméraire et très coupable pourrait seule garantir dans la terrible maladie qui mine l’état et menace son chef. Ce serait un homme bien étrange que celui qui serait indifférent ou infidèle à la gloire de sauver l’un et l’autre, et je ne suis pas cet homme-là. »

Mirabeau gagna-t-il quelque chose par la célèbre entrevue du 3 juillet d’où il était lui-même sorti exalté ? S’il produisit quelque impression sur la reine, on va voir que cette impression fut bien fugitive. — Exaspéré de cette inertie de la cour qui faisait échouer tous ses projets, il lance une de ces notes foudroyantes, terribles peintures du danger présent et révélations effrayantes de l’avenir. — « Quatre ennemis arrivent au pas redoublé : l’impôt, la banqueroute, l’armée, l’hiver. Il faut prendre un parti : je veux dire qu’il faut se préparer aux événemens en les attendant, ou provoquer les événemens en les dirigeant. En deux mots, la guerre civile est certaine et peut-être nécessaire. Veut-on la recevoir ou la faire, ou peut-on et veut-on l’empêcher ? » Il demande une mesure énergique. Que le roi, se servant d’un récent décret de l’assemblée nationale sur l’organisation des régimens suisses, se forme dans l’ombre une armée à lui, dont il prépare secrètement les cadres et désigne