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utile pour son crédit d’entretenir le roi dans les mêmes idées. M. de Vergennes suit le même plan, et peut-être se sert-il de sa correspondance des affaires étrangères pour employer la fausseté et le mensonge. J’en ai parlé clairement au roi et plus d’une fois. Il m’a quelquefois répondu avec humeur, et, comme il est incapable de discussion, je n’ai pu lui persuader que son ministre s’était trompé ou le trompait. »


D’accord avec Mercy, elle assiège Louis XVI, trompe les ministres, s’efforce de leur arracher des promesses et des engagemens en présence du roi, qu’elle a gagné d’abord, retarde les courriers en informant son frère des résolutions qu’ils lui porteront et auxquelles il aura eu ainsi le temps de parer. Et, quand Joseph II accepte notre médiation, c’est elle qui renchérit, avec un style d’affaires bref, rapide, marquant en quelque mesure l’obstination d’un esprit suffisamment retors, sur les conditions à poser en face de la France. Ce manège dure sans relâche pendant dix-huit mois, et ce n’est certes pas là ce qu’on peut appeler un refus d’intervention dans la politique, une attitude d’impartialité en présence des intérêts de la cour autrichienne.

Marie-Antoinette, pendant cette période encore paisible du règne, gagnait-elle beaucoup par un si grand zèle auprès du roi et de ses ministres ? Non assurément. Je rencontre dans ce même dossier de nos archives générales une lettre inédite de Vergennes, précisément de cette année 1784, dans laquelle, revenant sur l’ancienne affaire de Bavière, il montre combien la politique du cabinet de Versailles est restée finalement indépendante.


« 29 mars 1784. — …. Votre majesté n’a pas encore accompli la dixième année de son règne, et déjà quatre fois l’Europe a dû à sa prévoyance ou à ses efforts le rétablissement ou la conservation de la paix. Votre majesté, provoquée par les injustices et les violences des Anglais, s’occupait des moyens d’en imposer à l’ambition et à l’orgueil de cette nation entreprenante, lorsque la mort prématurée de l’électeur de Bavière, le dernier mâle de sa branche, fit éclore une circonstance qui pouvait par ses conséquences embraser l’Allemagne et déconcerter les projets et les vues de votre majesté. La maison d’Autriche, toujours active à profiter des moindres occasions pour s’agrandir, crut cet événement favorable à son ambition. Je ne retracerai pas ici en détail la futilité des motifs sur lesquels elle fonda l’invasion de la plus grande partie de la Bavière, après avoir arraché à la faiblesse de l’électeur palatin une reconnaissance de prétentions qui ne pouvaient pas même soutenir l’examen, l’opposition armée du roi de Prusse, la guerre qui s’ensuivit, et enfin la paix rétablie à Teschen par la médiation de votre majesté. Si l’impératrice de Russie y intervint dans la même qualité, ce fut bien plus pour applaudir à la direction de votre majesté que pour en partager le travail. L’Autriche dut à votre majesté une acquisition de convenance qui sauvait sa dignité… — C’est la crainte du