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s’agit de lettres d’affaires et d’affaires les plus graves ; les grâces du style ne seraient qu’une preuve de plus d’un penchant vers cette coquetterie française dont il faut qu’on se garde à tout prix. On aura donc dans le volume de M. d’Arneth précisément le contraire de ce que présente la correspondance apocryphe qu’ont admise les deux recueils, français. Là, Marie-Antoinette écrivant à sa mère a pour chaque lettre un sujet particulier qui l’entraîne à un récit, à un tableau, à une mise en scène, à des portraits. Elle a toute une lettre sur la mort de Louis XV, une lettre sur la vie à Compiègne, une lettre sur une prise de voile à Saint-Cyr, une lettre sur Mme Elisabeth, tout cela avec un luxe d’anecdotes, de saillies, d’allusions, de réticences, destiné à faire de chacun de ces morceaux un petit drame capable d’égayer quiconque ne se préoccupe pas de la vérité morale.

Entre autres bonnes raisons pour que la jeune Marie-Antoinette n’eût pas l’esprit et la main si prestes à une correspondance d’allure anecdotique et littéraire, il faut bien citer son imparfaite éducation, sur certains articles principaux si étrangement négligée. C’est un point dont nous étions fort mal instruits, et sur lequel nous sommes aujourd’hui parfaitement édifiés. La jeune archiduchesse avait pu avoir des maîtres de danse et de déclamation, de langue italienne et de diction française, de dessin et de musique, un Métastase, un Noverre, un Sainville ; elle-même n’en accusait pas moins plus tard, Mme Campan l’atteste, ce qu’elle appelait « la charlatanerie de son éducation. » Les dessins qu’on montrait d’elle à Vienne étaient entièrement (c’est elle qui l’a dit) d’une autre main, et elle a raconté qu’une de ses institutrices lui traçait à l’avance ses lettres au crayon. Pour tout dire, lorsqu’elle arrive en France en mai 1770, la dauphine est peu familière avec l’art vulgaire de l’écriture. Ce n’est pas qu’habituée à la langue allemande elle ait à surmonter l’obstacle d’une langue étrangère ; il ne s’agit pas non plus de nuances sur lesquelles on doive appeler des experts : c’est en réalité une enfant de quatorze ans et demi qui ne sait pas tenir et diriger sa plume, qui trace des lettres informes, salit le papier et n’est qu’à peine lisible. Si l’on n’en veut pas croire l’unique témoignage des fac-simile donnés par M. d’Arneth d’après la double série des lettres à Marie-Thérèse et des billets à Mercy, on peut y ajouter celui de nos propres archives et celui des registres de l’ancienne paroisse du château de Versailles : ici et là on rencontrera les preuves d’une parfaite analogie, d’une incontestable identité avec les documens de Vienne. Tout le monde comprend que ce ne sont pas ici d’insignifians détails. Cette information nouvelle sert à deux choses : d’abord elle nous fournit une des preuves