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lettres publiées à Vienne soient parfaitement authentiques, nul ne s’est avisé d’en douter. Elles sont données soit d’après les originaux, soit d’après des minutes ou des copies officielles faisant partie de l’archive privée de l’empereur d’Autriche. Adressées primitivement et reçues à Vienne, au moins pour la plupart, ces lettres y sont restées dans les papiers du chef de la famille et voient le jour pour la première fois. Ce qui n’a pas été adressé tout d’abord à Vienne y est arrivé plus tard avec les papiers de Mercy ; il est donc impossible de souhaiter pour des documens historiques une origine mieux à l’abri de tout soupçon. Et sait-on pourquoi l’on a consenti à les tirer enfin d’une secrète archive ? C’est précisément, si j’en crois certaines confidences, parce qu’on n’a pas voulu qu’une mémoire respectée servît longtemps de jouet aux fabricateurs de lettres historiques.

Tel est en effet le double service que M. d’Arneth a rendu : en faisant connaître la vraie Marie-Antoinette, il a donné les moyens de confondre l’œuvre apocryphe qui nous a presque tous également trompés, éditeurs, critiques et lecteurs. Les documens qu’on nous offrait, habilement composés, flattaient avec adresse l’opinion publique dans son mouvement de réaction généreuse, et nous manquions de tout terme de comparaison. Nous ne connaissions pas le caractère de la femme, de sorte qu’on a pu, pour un instant, nous la présenter comme une caillette qui n’aurait été que sensibilité fausse et bel esprit. Nous ne connaissions pas non plus la reine et sa conduite politique, et il faut lire à ce sujet le nouveau volume de ses lettres à Joseph et à Léopold. Les documens publiés il y a trente ans environ sur ses relations avec la cour de Vienne ne nous avaient éclairés qu’à demi ; il y manquait la contre-partie, je veux dire les démentis aux lettres qu’avait dictées Barnave, donnés par la reine elle-même en des messages tout confidentiels que M. d’Arneth fait connaître pour la première fois.

La tâche serait double à profiter de la double occasion qui est offerte ; l’objet principal doit cependant être ici de restituer la vraie physionomie de la reine, et il suffit pour cela d’invoquer les seuls documens publiés d’après les archives de Vienne. Ce sera ici notre règle : on ne se servira que si cela devient nécessaire pour rendre à la vérité tout son relief du contraste que présentent les fausses couleurs des lettres apocryphes. Le lecteur demande-t-il dès maintenant avec inquiétude ce que devient la mémoire de la reine à la lumière des révélations posthumes, il faut, avant de répondre, savoir à qui l’on parle. Êtes-vous amoureux des fantômes légendaires et voulez-vous qu’on satisfasse à tout prix votre manie romanesque, la réalité, dans cette occasion ni dans aucune autre, ne répondra pas à votre factice idéal. — Êtes-vous au contraire épris de la vérité