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et de la rigueur démonstrative, distingue les travaux des derniers venus de ceux de leurs devanciers.


II

Dans la première moitié du IIe siècle, il y avait à Hiérapolis, en Asie-Mineure, un évêque ou presbytre[1] du nom de Papias, homme influent dans la chrétienté de son temps et grand amateur des traditions remontant aux premiers jours de l’église. Debout sur la limite qui sépare la période apostolique proprement dite de celle qu’on est convenu d’appeler aujourd’hui la période du premier catholicisme, encore contemporain de gens qui avaient fréquenté les apôtres et même pu voir Jésus, il joignait à cet avantage une tendance prononcée pour la conservation du christianisme fortement empreint de vues juives tel qu’il avait appris à le connaître dans sa jeunesse. Ainsi il était millénaire renforcé. C’est à lui qu’on doit ce prodigieux morceau sur les béatitudes millénaires et l’alimentation splendide réservée aux élus que nous avons reproduit dans une étude antérieure sur l’histoire du canon[2]. Il paraît s’être abstenu soigneusement de toute solidarité avec le parti de Paul, dont le nom ne figure même pas sur la liste des autorités apostoliques dont il recherchait les témoignages. Déjà, dans cette première moitié du IIe siècle, où fermentaient, surtout en Asie, les tendances nouvelles qui devaient conduire l’église à de nouvelles destinées, ce partisan de l’orthodoxie primitive faisait l’effet d’un άρΧαϊος άνήρ, vetus homo, d’un « homme du passé, » comme Irénée le définit fort bien dans son ouvrage sur les hérésies.

Eusèbe de Césarée, l’historien de l’église et le panégyriste de Constantin, avait eu entre les mains un ouvrage en cinq livres de ce vieux Papias, intitulé Explication des paroles du Seigneur, qu’il avait trouvé dans la riche collection de manuscrits réunie à Césarée par les soins de son docte maître et ami, le martyr Pamphile. Eusèbe avait le goût de la recherche érudite. Il aimait, si je puis ainsi dire, à bouquiner, et le principal mérite de son histoire, à laquelle il ne faut se fier qu’à moitié quand son point de vue ecclésiastique, son horreur du paganisme, sa prédilection pour l’orthodoxie semi-arienne de son temps sont en jeu, consiste dans les fragmens d’ouvrages aujourd’hui perdus qu’il a annotés ou analysés. En particulier il se plaît à citer les passages des anciens

  1. On se rappelle sans doute que ces deux titres, qui signifient respectivement surveillant et ancien, et dont le second nous a donné le mot prêtre, s’employaient indifféremment pour désigner les conducteurs de chaque communauté jusqu’après 150. Depuis lors et peu à peu, l’évêque devint supérieur aux presbytres.
  2. Voyez la Revue du 15 juillet 1864.