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même après les adoucissemens apportés aux premiers calculs la date attribuée à la composition du premier Évangile ne permettait pas de lui attribuer pour auteur un contemporain de Jésus. Le fait est qu’en général, et à bien des points de vue divers, la critique allemande s’est prononcée contre cette authenticité. Un historien aussi timide que Neander, aussi désireux dans sa lutte contre M. Strauss de conserver le plus qu’il pouvait des anciennes idées sur le canon et la valeur historique des livres dont il se composes n’a pu lui-même refuser de déposer son vote contre l’authenticité. Cependant ce fut précisément l’embarras où l’on se trouvait pour expliquer l’ancienneté et la fermeté de la tradition ecclésiastique sur le premier Évangile qui contribua le plus à pousser les esprits dans la voie de la théorie que nous allons enfin exposer.

Elle est loin d’être sortie tout armée du cerveau d’un inventeur, comme la Minerve antique du front de Jupiter. C’est peu à peu qu’elle s’est formée, consolidée et pour ainsi dire arrondie. Autant que je sache, elle remonte par ses origines à Schleiermacher, qui substitua aux Évangiles sans fin d’Eichhorn et aux narrations orales et impersonnelles de Gieseler l’hypothèse de sources antérieures écrites, de dimensions variables, et en particulier la forte présomption d’un document réellement rédigé par l’apôtre Matthieu et reproduit dans notre premier Évangile. On ne saurait dire non plus que cette théorie soit tellement parachevée qu’elle ne laisse plus prise à la moindre objection de la part de ceux qu’elle contrarie, ni à la moindre divergence chez ceux qui l’adoptent en principe. M. Hilgenfeld n’en veut pas entendre parler et préfère encore un système qui se rapproche un peu, quoique bien plus simple, de celui d’Eichhorn, mais qui pèche par un incroyable arbitraire, et qui n’a pas fait un seul prosélyte tant soit peu connu. M. Michel Nicolas ne la juge pas encore suffisamment démontrée, bien qu’elle ait évidemment ses préférences. Ce qui plaide pourtant en faveur de cette théorie, c’est qu’elle s’est dégagée lentement, avec une clarté croissante, des travaux des hommes les plus estimés par leur critique savante et désintéressée. Elle n’est la fille ni de la conservation à outrance, ni du radicalisme destructeur. Elle a même conquis à plusieurs reprises les suffrages de savans qui avaient commencé par se prononcer contre elle, et ses partisans sont loin d’appartenir tous à la même nuance de la théologie contemporaine. Citer les noms de Schleiermacher, de Lachmann, de Neander, de Credner, de MM. Weisse, Schenkel, Ewald, Wieseler, Kœstlin, Reuss, Meyer, Holtzmann, Scholten, pour ne parler que des plus connus, cela suffit, je pense, pour recommander un point de vue qui leur est commun à tous, sauf divergences dans les applications de détail et sauf aussi la différence naturelle qui, sous le rapport du complet