plusieurs sources communes aux trois synoptiques était sans doute introduite avec éclat dans la science ; mais comment imaginer qu’une pareille foison de documens évangéliques amoncelés les uns sur les autre se fût perpétuée pendant plus d’un siècle sans qu’il en fût resté la moindre trace dans l’histoire ?
Ce fut par réaction contre une théorie poussée ainsi jusqu’à l’absurde qu’une autre hypothèse, déjà entrevue par Eckermann et Kaiser, mais développée surtout par l’esprit sagace et ingénieux de l’historien Gieseler, s’empara de la situation théologique. Eichhorn et ses amis avaient péché en reportant sur les premières années de l’église des habitudes de bénédictins : l’écrit, le livre ne pouvait tenir une aussi grande place dans les mœurs des deux premiers siècles que dans les nôtres. Le sens historique de Gieseler l’amena à découvrir que la transmission orale des événemens politiques et religieux remplaçait le plus souvent dans l’antiquité, surtout dans les classes inférieures, notre mode de transmission au moyen du livre ou du journal, et, comme encore de nos jours on peut s’en assurer en étudiant d’un peu près les habitudes intellectuelles des populations arriérées, dans un tel état de civilisation les narrations orales tendent à se fixer, à revêtir une forme stéréotypée qui ne change que très peu et très lentement en passant de bouche en bouche. Dans cette nouvelle explication, les trois synoptiques ne seraient que la tradition orale fixée. Nous devrions y voir le triple dépôt d’un courant jusqu’alors fluide. Écrits en trois lieux différens, les trois récits auraient chacun enregistré la tradition locale. Dès lors on ne peut plus s’étonner qu’à leurs ressemblances, dues à cette loi des traditions orales que nous rappelions tout à l’heure, chacun des synoptiques joigne des différences tenant aux déformations, inévitables aussi, des récits transmis de cette manière et aux notices spéciales que telle tradition locale pouvait avoir conservées tandis qu’elles se perdaient ailleurs. Gieseler avait du moins le droit d’en appeler à des faits reconnus de l’histoire chrétienne primitive. C’est bien à peu près par ce mode oral que l’enseignement religieux se transmettait dans les écoles juives. On sait que par la voie unique de la tradition non écrite l’antiquité a pu conserver des œuvres de fort longue haleine, les poèmes homériques par exemple. La manière dont Paul s’exprime quand, dans sa première aux Corinthiens, il rappelle à ses lecteurs l’institution de la cène et les apparitions de Jésus ressuscité à ses disciples inspire tout à fait l’idée qu’il s’agit de confier à la mémoire des thèmes de forme arrêtée sur les faits principaux de l’histoire évangélique. Enfin, au second siècle de l’église, il y avait encore des chrétiens influens, conservateurs un peu réactionnaires, et qui, sans craindre d’avouer leur préférence, recouraient à la tradition orale, encore perpétuée de leur