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et joignant à des recherches nouvelles une revue raisonnée des innombrables travaux antérieurs. Le premier est dû à un jeune professeur de Heidelberg, M. Holtzmann, qui s’est acquis d’emblée par cette publication une place de premier rang parmi les critiques de sa savante patrie. On se sent vraiment pris du désir de cultiver la théologie dans cette charmante petite ville de Heidelberg, assise dans la verdure, près de la jonction du Neckar et du Rhin, à l’ombre du château en ruine des comtes palatins, et sous la direction des hommes éminemment distingués que le libéralisme badois a si fermement maintenus dans leurs chaires en dépit des sommations coalisées de l’intolérance ultramontaine et du piétisme local. Heidelberg est un des points de l’Europe où l’on peut le mieux savourer ce parfum particulier et fortifiant que vaut aux études de tout genre l’heureuse alliance d’une science trop philosophique pour être irréligieuse et d’une religion trop élevée pour jamais craindre les libres mouvemens de la science. Il faut dire pourtant que le livre de M. Holtzmann n’est pas précisément d’une lecture courante, c’est un ouvrage technique de plus de cinq cents pages, et la plupart des lecteurs se retrouveront plus aisément dans la claire et solide exposition de M. Michel Nicolas, l’infatigable érudit qui a, des premiers, prouvé que la théologie scientifique pouvait parfaitement s’acclimater en France. Les deux livres se complètent et jettent un grand jour sur les questions délicates et compliquées qu’ils soulèvent.

Il s’agit en premier lieu de déterminer les problèmes qui s’offrent sur le champ décrit par les trois premiers Évangiles. Il faudra retracer ensuite les solutions diverses que la critique biblique a successivement proposées avant d’arriver à celle qui emporte aujourd’hui la pluralité des suffrages compétens. Enfin on indiquera les principales conséquences qui résultent, au point de vue de leur caractère historique, du mode de formation des trois synoptiques.


I

Ce nom spécial de synoptiques provient, on se le rappelle sans doute, de ce qu’en règle ordinaire on peut suivre d’un seul regard les trois lignes parallèles le long desquelles se déroule le récit des trois premiers Évangiles. À cette unité générale de plan se joint à chaque instant une ressemblance qui va jusqu’au littéralisme. Rien de plus facile que de détacher un fragment commun aux trois synoptiques, de l’écrire sur trois colonnes parallèles et de s’assurer par là d’une identité de tournures, de formes, d’expressions singulières, telle même que la loupe de la critique ne parvient pas toujours à découvrir la moindre variante microscopique différenciant