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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

avait été deux jours durant comme son lit mortuaire. Il en descendit, appuyé sur Chesnel, les yeux encore tournés vers Violante, et comme elle se disposait à sortir : — Restez, mademoiselle, dit-il, je vous en prie.

La douairière dans sa surprise demeura un moment tout étourdie, clouée au parquet de tout le poids de ses petits pieds, jadis si mignons, qui avaient couru les chemins de l’exil, puis elle dit : — Je vais rassurer sur votre santé les gens de Croix-de-Vie qui sont là, mon fils.

Sur le seuil, elle s’arrêta. Le marquis s’avançait vers Mlle de Bochardière, toujours appuyé sur l’épaule de Chesnel, et tournait le dos à la porte. Bien sûre que Violante seule pouvait la voir, la pétulante douairière lui envoya un sourire, puis un baiser du bout des doigts et s’enfuit.

— Tandis que je dormais, mademoiselle, dit le marquis, j’ai fait un rêve. Vous en étiez l’objet. Il me semblait que votre père vous mettait à la torture et que j’en étais la cause. On vous disait : Sauvez-le !…

— Vous vous trompez, monsieur le marquis, repartit Violante, on ne m’a point dit cela.

— Il est généreux à vous de le nier, reprit-il. Moi j’entendais, et l’on me rendait amère la compassion que vous inspiraient mes malheurs et ma faiblesse, puisqu’on vous forçait à vous en repentir. J’entendais tout, et j’en souffrais davantage. Ceux qui voudraient abuser des libres mouvemens d’un cœur comme le vôtre ne savent pas ce qu’ils font, mademoiselle, et ce serait une belle action que de leur pardonner.

— Oh ! fit-elle, encore plus pâle qu’auparavant et le regardant €n face, ces paroles, si elles m’ont été dites, n’étaient pas faites pour m’offenser ; j’ai ressenti d’autres injures, et je n’en ai pas été mortellement blessée.

— Ceux dont je veux vous parler, continua Martel, prennent sans doute à ma vie bien plus d’intérêt que je n’en prends moi-même : l’ardeur de leur amour les égare ; mais je ne viens pas ici vous demander pardon que pour eux, je le demande aussi pour moi.

— Monsieur le marquis, dit Violante, quel mal m’avez-vous donc fait ?

— J’ai jugé faussement une âme droite et pure, j’ai vu un diamant devant mes yeux, et je n’ai pas su le reconnaître ; en faisant cela, j’ai fait une chose vulgaire… Mais il suffit que vous m’entendiez, mademoiselle…

— Voilà encore où vous vous trompez, monsieur le marquis, dit Violante. Je ne vous comprends pas.