Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/599

Cette page n’a pas encore été corrigée
595
LES SEPT CROIX-DE-VIE.

quait la branche de houx qui se balançait à l’auvent de la porte. Devant cette porte close piaffait un cheval, et sur ce cheval se démenait un cavalier tourmenté d’une rouge colère, qui frappait le visage de bois du manche de son fouet à grands coups. — Hohé ! quelqu’un ! criait-il. Si l’on ne peut se désaltérer ici, cette enseigne est un mensonge. Je suis le maître des Aubrays… le coquin d’homme est aux champs.

Il demeura court, la bouche encore ouverte et tendant l’oreille. Son gros cheval breton l’imita, frissonnant et fronçant les naseaux. Un bruit inexplicable dans ce lieu désert s’élevait de toutes parts, de la terre et de l’eau. C’étaient des chants, des cris, des pas pressés, des coups redoublés dans la rivière. Le maître des Aubrays lança son cheval sur la berge, et vint se camper tout droit devant les bandes qui s’avançaient. C’était un grand homme sec, et si long, si mince, que, sur sa monture massive, il donnait l’idée d’un clocher en aiguille au-dessus d’une église, ou, comme on disait dans les villages, d’une grande paire de pincettes cavalcadant sur un monceau de cendre dans le foyer : son cheval breton justement était gris de cendre ; mais si le cavalier avait la maigreur d’un fantôme, il n’en avait point du tout la couleur. Sa face osseuse était d’un rouge de brique ; ses cheveux d’une nuance non moins hasardeuse, blonds comme de la paille hachée est blonde, et flottant comme la paille à tous les vents, n’avaient jamais connu le fer ni l’apprêt ; on reconnaissait dans le maître des Aubrays un des types du gentilhomme campagnard, franc buveur, grand chasseur, querelleur avant tout. Pour juger de la force de cette dernière disposition que la soif en ce moment doublait en lui d’une façon terriblement incommode, il suffisait de le voir brandir son fouet, jurant, sacrant comme un païen. La rencontre de ce drapeau qu’il n’aimait pas le jetait toujours dans une étrange humeur ; mais ici ces trois couleurs n’étaient rien. Si M. des Aubrays ne savait pas d’où venaient ces gens à qui il prétendait chercher querelle, seul contre soixante, il s’en doutait pour le moins. — Bandits ! leur cria-t-il, vous ne passerez point !

Il n’avait pas achevé qu’il fut entouré, enveloppé, pressé, étourdi de hurlemens, de menaces, de poings levés. Le choc fut si rude et si soudain que son cheval en fléchit ; le tourbillon se serrant encore, la grosse machine vivante un instant fut soulevée de terre. Lesneven ne cherchait pas à retenir les siens ; suivant les règles immuables de la justice, il n’avait pas à défendre ce campagnard frénétique qui se précipitait, sans droit ni raison, pour l’insulter sur le grand chemin. Le cavalier et son cheval allaient être étouffés sur l’heure.

— Arrière, démons ! disait le maître des Aubrays d’une voix enragée. L’un des démons voulut saisir son fouet, mais le gentilhomme