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Violante disait vrai, et qu’il ne pouvait envoyer chercher du secours avant de savoir s’il y avait péril. Il traversa sa cour d’honneur, gagna ses jardins et se mit à marcher au bord de l’eau sur sa terrasse, regardant ce flot stupide qui venait de la ville, qui aurait pu lui apporter une nouvelle sûre et un bon conseil, et qui restait muet. Aucune lueur ne perçait les ténèbres de son subtil esprit en déroute. Que faire ? Attendre ! Un nuage passait devant ses paupières alourdies, quand, embrassant d’un coup d’œil tout ce bel établissement de Bochardière qui était son œuvre, les bosquets, les charmilles, le manoir restauré, la tour, il songeait que tout cela dans une heure peut-être allait s’abîmer sous la main brutale de ses ennemis. Déjà il voyait sa tour flamber au vent comme un feu de paille.

Lesneven cependant conduisait à Plémures ceux qu’il nommait ses amis et ses frères. Il les avait entraînés loin de la ville en leur disant : — Que faites —vous ici sur cette place muette et banale qui n’a point de souvenirs ? — Et il leur avait juré qu’à Plémures les chênes allaient s’animer, les pierres se lever à leur approche et leur parler des anciennes victoires. Les bonnes gens n’étaient point fâchés d’entendre parler les pierres. Le jeune maître savait bien que, lorsque le torrent populaire est gonflé, il doit s’écouler quelque part, et qu’il ne s’agit souvent que de lui ouvrir un lit pour détourner sa colère. Étendant le bras vers le nord, il avait dit : — Le champ de bataille de Plémures vous appelle, — et la troupe entière s’était ébranlée. Les femmes, en un instant, avaient rejoint leurs maris : c’étaient de lestes commères ; les enfans s’accrochaient à elles, ils voulaient aussi être de la fête, et un seul cri s’était élevé : — Allons à Plémures !

Plémures n’est point Coron, ni Torfou, ni Chollet ; ce n’est qu’un des deux cents champs de bataille obscurs où se poursuivit l’épopée de deux ans. Trois semaines après leur victoire de Torfou, la fortune des Vendéens avait bien changé, et déjà Kléber les poussait vers cette grande Loire qui devait être leur tombeau. La bande menée par le marquis de Croix-de-Vie cherchait à rallier dans le plat pays Bonchamp et d’Elbée. Toujours malheureux, toujours battus malgré la vaillance de leur chef et sachant bien qu’ils étaient le sujet d’une sinistre légende, les gens de Croix-de-Vie brûlaient surtout de revoir d’Elbée. On l’appelait le général la Providence ; au moment de marcher au combat, il prononçait toujours le même discours en quatre mots : « Mes enfans, la Providence va nous donner la victoire. » Le marquis de Croix-de-Vie espérait passer la Sèvre à Plémures même, lorsqu’il fut atteint par les volontaires de Bressuire. Les républicains avaient le nombre, l’engagement ne dura pas une heure ; le marquis ne sauva que les débris mutilés de la