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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Les montagnes ? fit l’abbé.

— C’est là seulement que règne le ciel ouvert et libre, dit Violante… Je n’ai d’autre désir que d’y retourner.


Le marquis sourit de son cruel sourire. Au même instant, ses yeux et ceux de la jeune fille se heurtèrent : l’abbé les avait bien jugés en disant qu’ils péchaient tous deux par orgueil. Derrière leurs regards étaient leurs âmes qui se mesurèrent ; le même feu s’alluma sur ces deux nobles visages. Martel pensait à la croix de pierre de l’avenue, aux plis de cette robe blanche qui essayaient en vain de se dérober derrière un chêne, à ce témoin qu’il avait eu dans l’explosion de sa faiblesse et de son désespoir. Violante sentait son cœur se gonfler de douleur et de colère à l’idée qu’on la soupçonnât d’être venue dans ce château chercher les rêves cupides, l’aventure et la fortune, et s’assurer si le caprice du sort ou la fantaisie d’un malade ne pourrait faire tomber une couronne de marquise sur son front. Elle ne se doutait pas que la veille il l’avait vue… Il ne savait pas, lui, que dans la nuit précédente, par deux fois, elle avait eu la pensée de ne point s’opposer aux projets de son père… Ah ! que cette pensée maintenant était loin !

— Lescalopier, dit tout bas la douairière, ils se haïssent à présent. Dieu soit loué ! Emmenez votre fille.

Et comme il la regardait stupéfait : — Partez, reprit-elle, le moment est bon. Ne cherchez pas à me comprendre.

— Violante ! fit le docile Lescalopier.

— Mon père, dit Violante, je suis prête.

— Nous vous accompagnerons donc jusqu’aux confins de notre royaume, s’écria gaîment Mme de Croix-de-Vie ; mais je suis lasse, ma chère enfant, et je préfère votre bras à celui de mon fils.

Mlle de Bochardière s’avança fière et calme. La marquise passa son bras sous le sien. On descendit la longue pente qui menait de la terrasse aux jardins, ce qui abrégeait la route, et l’on traversa les pelouses. Le marquis, l’avocat et l’abbé se retrouvaient côte à côte ; tout le monde marcha d’abord en silence, puis la marquise commença un de ces entretiens légers dont elle possédait l’art subtil plus profondément que personne au monde. Violante répondait exactement, en deux mots, quelquefois avec un demi-sourire.

En passant près d’un buisson de rosiers. Mme de Croix-de-Vie voulut cueillir un rameau tout entier chargé de roses ; elle ne put y réussir et appela son fils à son aide. M. de Bochardière et l’abbé ne s’arrêtèrent point et passèrent devant.

— Monsieur l’abbé, dit l’avocat d’une voix altérée, quitteai-je donc Croix-de-Vie sans avoir revu Chesnel ?

— Mais, dit l’abbé, vous pourriez, monsieur, le faire mander par un valet…