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d’ailleurs pour passionner le débat ! Walther de Vogelweide est de noble sang, et Henri d’Ofterdingen, que ses talens ont introduit en si haute assemblée, appartient à la classe bourgeoise. Puis c’est à la Wartbourg, sous les yeux du couple lettré par excellence, que l’engagement a lieu. Que peut attendre le vaincu, sinon la honte, l’infamie ? Un Walther de Vogelweide battu par le fils d’un marchand d’Eisenach, et cela en présence du seigneurie plus éclairé, de la plus savante entre les dames ! ce scandale ne saurait s’accomplir ; pour l’empêcher, tout est permis : l’intimidation d’abord, et s’il le faut, en désespoir de cause, le guet-apens. De chevalier à vilain point de scrupule. Les amis de Walther, connaissant la supériorité d’Henri, demandent que le mode de combat soit changé. Après bien des pourparlers, on s’en remet au sort du soin de décider lequel des deux succombera. Triompher par la lyre d’un rival dont l’entraînement d’un premier succès avive encore l’inspiration n’était point besogne commode ; le vaincre au jeu deviendrait plus facile, surtout si les dés étaient pipés. C’est en effet ce qui arrive. Les adversaires d’Henri d’Ofterdingen trichent, il perd. A son tour de réclamer une nouvelle épreuve, de proposer en dernier ressort le combat poétique. Sa prière est entendue, le duel recommence ; mais les félons qui tout à l’heure ont fait parler le sort ne sont point gens à céder la place au génie. Au lieu de suivre dans son essor l’oiseau-roi, on le harcèle, on le lapide ; les interruptions éclatent, les rires, les sarcasmes. Ofterdingen se trouble, plus de pitié, que la victime soit au bourreau ! Alors l’infortuné s’élance vers le trône, et, se réfugiant sous le manteau de la duchesse, implore un sursis d’une année et déclare en outre former appel devant le tribunal de maître Klingsor, juge suprême en ces litiges : attitude effarée et suppliante qui vient là comme une allusion à l’origine roturière du personnage. A la place d’Henri d’Ofterdingen, un chevalier offrirait sa tête, et c’est sans doute parce qu’il prend si bien au sérieux la gageure que Walther de Vogelweide ne rougit pas d’employer les dés pipés, évitant d’avance par tous les moyens, même déshonnêtes, une chance qu’il se sent au cœur la ferme résolution d’accepter bravement. — Le landgrave Hermann, sur les instances de sa femme, accueille cette transaction, et chacun de s’y prêter à son exemple. On convient donc que dès le lendemain Henri d’Ofterdingen partira pour la Hongrie, où réside ce mystérieux Klingsor, désormais seul arbitre de sa destinée, et qu’il s’engage à ramener avec lui à l’expiration du délai fixé.

Astrologue, alchimiste, médecin, nécromancien, ingénieur et poète, messire Nicolas Klingsor occupait à la cour du roi André II une situation sans égale, pratiquant à la fois les sciences occultes