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symbolique, dans un édifice, à tel point que, sans cette abbaye, cette tour, ce château, une partie d’elles-mêmes manquerait à ces forêts, à ces montagnes, qu’on croirait s’être associées à l’œuvre de l’homme, tant cette œuvre résume leur grandeur pittoresque et leur poésie. Comment nommer tous ces sommets, reconnaître toutes ces hauteurs splendidement boisées dont à vos pieds les vagues moutonnent au vent du soir ? Du côté de l’histoire, même panorama. De Louis le Salien, fondateur de la Wartbourg[1] sous l’empereur Henri IV, au landgrave Hermann, l’ami de Henri d’Ofterdingen, de sainte Elisabeth à Luther, que de destinées ont commencé là dont la grande histoire garde la trace ! De cette aire tant haut perchée combien de vautours, d’aigles et aussi de colombes ont pris leur vol ! Passons sur les âges barbares, et pour entrer à la Wartbourg attendons la période illustre que la guerre des chanteurs inaugure (1206-1207).

Hermann, quatrième landgrave de Thuringe, fut de son temps le protecteur éclairé des poètes. À cette physionomie féodale, l’instinct des lettres, les raffinemens du bel esprit donnent je ne sais quel air de ressemblance avec nos Valois, surtout avec Louis d’Orléans, ce frère de Charles VI, premier duc de Valois, qui bâtit le château de Pierrefonds, et par la culture de son esprit, son amour du gai-sçavoir et ses magnifiques façons d’en user envers les poètes et jongleurs de son époque, offre en effet bien des analogies avec le grand feudataire de l’empire dont le règne à la Wartbourg devait rester une date pour les arts et les sciences.

Pour attirer à lui les châtelains guerroyeurs de son temps, apprivoiser tous ces burgraves, Hermann eut une cour qu’il tint avec magnificence, en prince chevalier non moins qu’en parfait connaisseur, aimant à se mêler aux travaux des poètes, à fournir à leur improvisation des thèmes qui, variés ensuite de part et d’autre, faisaient l’agrément de ces joutes lyriques auxquelles sa compagne, la duchesse Sophie, et lui présidaient solennellement, la couronne en tête. Ses relations avec la maison de France, son assidu commerce avec l’université de Paris, mettaient ce prince à même d’enrichir d’un élément étranger la culture intellectuelle de son pays. Comme d’autres ont des chambellans, il avait ses chanteurs attitrés, ses minnesinger, attachés au nombre de six à sa personne, et dont le chef, Henri de Waldeck, son chancelier, avait commencé par

  1. La chronique raconte qu’un jour s’étant égaré à la chasse, il s’arrêta au pied de la montagne. Émerveillé par la beauté du site, Louis résolut d’y transporter sa demeure, et s’écria avec un jeu de mots impossible à rendre en français et dans lequel la tradition croit voir une étymologie : « Attends, montagne, je te promets un burg. » (Warte, Berg, du sollst eine Burg haben).