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pourquoi ? Un pensionnat de jeunes filles en belle humeur de promenade entre et se répand dans la maison de Schiller, sur l’esplanade, pour la visiter ; rieuses d’abord, peu à peu leur gaîté se tempère, à l’enjouement la piété succède ; elles se recueillent, se taisent, et leur silence en pareil lieu vous les fait aimer.

Ce n’est pas non plus un palais que la maison de Goethe, mais ces pénates vous racontent l’homme familièrement : d’abord l’atrium, encombré de marbres, de moulures ; au premier, les appartemens de gala où le ministre du grand-duc vaque à l’officiel, et dans sa longue lévite, les mains croisées derrière le dos, un trousseau de clés à sa ceinture[1], se promène de long en large, songeant et méditant même alors qu’il écoute son monde, et murmurant à part lui, dans les intervalles de silence, ce mot pondérateur de sa toute-puissante activité : « Du calme ! du calme ! Ruhe ! Ruhe ! » Voulez-vous maintenant dans cette excellence voir revivre le fils du bourgeois de Francfort, ouvrez sa chambre de travail, étroite, basse, d’une simplicité d’ameublement plus que modeste. Cette chambre de Goethe vous reporte à la rude et froide cellule de la Wartbourg où le réformateur de la foi du moyen âge écrivit sa Bible allemande, car de ce réduit, de cette humble loge, sont également sorties des œuvres dont l’influence ne périra point. Là composait le maître en présence du crâne de son ami Schiller sans cesse contemplé, vénéré ; là, il mourut assis, sa tête paisiblement appuyée sur l’oreiller que maintenait sa bru Ottilie. Pourquoi dire « il mourut ? » Il s’endormit, exhala son âme. Les maladies avaient respecté son organisme, le coup de sang qui le frappa quelques années auparavant n’avait pu l’abattre ; point de secousse, d’agonie ; son pouls, comme de lui-même, s’arrêta sans que l’harmonie de l’être en fût troublée : belle et plastique mort qui ressemble à sa vie !

Schiller et Goethe, en supposant qu’ils eussent relevé d’une grande puissance politique, auraient-ils en réalité exercé plus d’action sur leur temps et sur l’avenir ? Je ne le pense pas. La naturalité d’un grand état eût peut-être amoindri chez eux ce caractère européen, cosmopolite, que peuvent déplorer les imbéciles qui mesurent le patriotisme d’un homme de génie au nombre de cantates qu’il produit, mais dont leur sauront toujours gré les vrais partisans de la grande Allemagne. Cette Allemagne unie, sinon unitaire, ils l’ont pressentie, appelée ; ils ont créé les points de ralliement, ému la fibre, soutenu, réveillé au besoin le sens moral aux jours

  1. Cet attirail, qui le faisait ressembler à Bartholo, intrigua beaucoup M. Cousin. C’étaient tout simplement les clés des tiroirs, vitrines et cabinets où s’emmagasinaient ses diverses collections botaniques, minéralogiques, etc.