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l’Allemagne n’en a point. Toute proportion gardée entre le contenant et le contenu, le tout et la partie, l’Allemagne d’aujourd’hui, en tant qu’état, vaut la Thuringe. Cette unité impériale qu’un Wallenstein mit dans son camp, qu’un Henri de Gagern chercha dans le parlement de Francfort, où la trouver ? Le vieux Bund ne fonctionne plus ; cette force tombée à terre, qui la ramassera ? qui l’emploiera selon les besoins des temps nouveaux ? Est-ce la Prusse autoritaire et tapageuse de M. de Bismark ? Nous qui n’avons jamais cessé d’aimer l’Allemagne, de la vouloir grande et libérale, nous avions au cœur d’autres sympathies, d’autres espérances. Et pourtant cette Thuringe si bariolée, ce pays si découpé en jolis petits compartimens de fantaisie, fut jadis un grand royaume qui touchait à la Bohême et à la Saxe, et du Danube s’étendait presque jusqu’au Rhin. C’est vrai qu’il y a de cela bien des siècles. Depuis ces beaux jours d’un passé en quelque sorte légendaire, la Thuringe n’a guère mené qu’une existence pittoresque. Les princes qui l’habitent, — dois-je dire qui la gouvernent ? — sont moins des souverains que d’illustres propriétaires attachés héréditairement à ce sol fractionné, et qui, — tandis que leurs cadets vont ailleurs, comme certains fils de lords, courir la fortune, — acceptent gravement envers une population les droits et les devoirs de la vie de famille, continuant dans le présent le romantisme du passé.

C’est ce caractère tout idyllique qui fait aujourd’hui le charme spécial de la Thuringe. On y pratique l’agriculture et l’élève des bestiaux, on y chasse à tir et à courre, on s’y marie surtout énormément, et de chaque mariage naît une postérité nombreuse qui à son tour grandira pour le culte des plaisirs et des vertus domestiques. De splendides forêts, des chaussées bien entretenues, beaucoup d’écoles communales, de fondations hospitalières, une université où Schelling et Hegel prirent leurs degrés, où Schiller a travaillé à la formation d’un public national, de tels avantages ne sont-ils pas pour vous faire oublier l’absence d’une capitale ? D’ailleurs des capitales, il n’y a guère que la France et l’Angleterre qui en possèdent ; les autres états, si puissans qu’ils soient, n’ont à l’exemple de la Thuringe que des résidences. Et quelle simplicité primitive, quelle absolue ignorance des mille non-sens de la vie moderne respirent la plupart de ces petites localités élyséennes où ne parvient pas même le bruit des chemins de fer, où c’est presque commettre une excentricité que de lire un journal ! A peine si dans ce qu’on appelle les grands centres vous apercevez le lien qui rattache au siècle la contrée. Si restreintes en effet sont les aspirations, si discrets les besoins ! je parle ici de l’industrie, des produits de la paix. Quant à la guerre, aux arts de Bellone, ne fallait-il pas que jusqu’en ses