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sans le pittoresque un voyage en Allemagne et en Thuringe ? Lucos ac nemora consecrant, disait Tacite[1].


I

La Thuringe est une idylle de la nature, « Pour vous en faire la description, a dit un des écrivains considérables de l’Allemagne de notre époque[2], il me faudrait être à l’âge que j’avais lorsque j’y vins pour la première fois. » Nous aussi, nous regretterions volontiers, à ce point de vue, les naïves et bienheureuses sensations de cette première jeunesse que tout entraîne, émerveille, que rien n’effraie, pas même l’idée de raconter un paysage et d’entretenir le public des histoires que nous ont apprises les bourdonnemens de l’abeille buissonnière poursuivie à travers la montagne. Pauvre éloge à faire d’un pays par le temps qui court que de dire qu’il est une idylle géographique ! Mieux vaudrait pouvoir le nommer un état ; mais la Thuringe est moins un état qu’un composé très pittoresque de principautés particulières réunies, groupées ensemble à souhait pour le plaisir des yeux et la curiosité du dilettantisme historique. Par cette absence d’homogénéité, la Thuringe rappelle quelque peu la mère commune, laquelle n’est à son tour qu’une grande Thuringe, tout comme la Thuringe, à bien examiner les choses, pourrait passer pour une Allemagne en miniature. L’auteur du Cosmos n’a-t-il pas écrit que chaque coin de terre pris à part est un abrégé de l’univers ? À ce compte, la Thuringe, en y comprenant les duchés de Saxe, les principautés de Schwarzbourg et de Reuss, — la Thuringe serait en petit l’Allemagne. Ses montagnes, ses plaines, ses cours d’eau, de même que ses châteaux forts, ses ruines, ses états et ses villes, offriraient en effet comme un résumé de la grande patrie germanique. Vous retrouvez les Alpes tyroliennes dans ces hautes cimes granitiques du pays d’Eisenach, la Saale tient lieu du Danube, et la Schwartza a pour elle tout le romantisme du Rhin. Maintenant, en ce qui concerne l’activité sociale et les intérêts variés qui s’y rattachent, ces villes et ces états ne sont-ils pas un vrai microcosme ? Altenberg, par exemple, représente l’agriculture, Reuss l’industrie, et telle petite cour que chacun va nommer a de tout temps pris le pas sur les plus grandes dans tout ce qui regarde la culture des lettres.

Qui viendra démentir ma comparaison ? La Prusse, la Saxe, la Bavière, ont une physionomie, une individualité politique ;

  1. Tacit., Germ., lib. 1, IX.
  2. Gustave Kühne, Männliche und weibliche Charaktere ; erster Band, f. 75.