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sont les progrès que l’on a faits vers la guerre ? quelles sont les chances qui restent à la paix ?

Il faut constater un premier fait : le mouvement vers la guerre a été moins rapide que le sentiment public ne l’avait d’abord appréhendé. Le long silence, la systématique réserve que la politique officielle de la France avait gardés devant le déroulement compliqué des affaires germaniques, avaient eu deux influences à notre avis très fâcheuses, l’une sur le fond même de ces affaires, l’autre sur la disposition des esprits. Nous avons soutenu depuis trois ans que la France eût pu exercer une action préventive sur la mauvaise direction politique de l’Allemagne, si, avant tout, ne laissant subsister aucun doute sur le désintéressement de ses motifs, déclarant d’avance qu’elle ne poursuivait aucun avantage égoïste pour elle-même, elle eût exprimé avec netteté, autorité et chaleur son avis sur les questions de droit et les grands intérêts européens qui étaient en jeu au-delà du Rhin. Nous conservons cette opinion, mais nous n’avons pas davantage à la justifier, et il serait oiseux maintenant de la soutenir par une polémique rétrospective. Le second effet malheureux de l’inaction et de la taciturnité affectée de la France a été de livrer les esprits sans préparation à la crise qui devait fatalement éclater, et à laquelle l’Europe est en effet en proie depuis deux mois. Ce défaut de préparation explique l’excessive démoralisation d’esprit public dont nous avons été témoins. L’opinion générale a été réveillée en sursaut par des faits qui, elle l’a cru dans sa violente surprise, lui dérobaient toute puissance sur les événemens futurs. Elle a cru qu’elle se trouvait en face d’un péril immédiat et ténébreux. Elle s’est figuré qu’elle allait assister, il faut dire les choses par leur nom, à l’exécution d’un complot prémédité à son insu, et qui ne se révélait à elle qu’au moment où il n’était plus possible d’en détourner les coups. On a craint que la guerre, non une de ces guerres de principes ou de passions nationales auxquelles les âmes comme les intérêts ont le temps de se préparer, mais une guerre machinée à froid par des ambitions raffinées, allait éclater sur-le-champ. De là cette épouvante désastreuse des intérêts qu’ont subie plus cruellement encore que les autres les nations que la guerre ne menaçait pas directement, car, plus confiantes dans la paix et plus riches, ces nations étaient plus engagées aussi que les autres dans les opérations financières, industrielles et commerciales.

Ou nous nous trompons fort, ou l’on commence aujourd’hui à revenir de cette surprise et de cet effarement. Grâce à Dieu, les accidens n’ont pas eu jusqu’à présent le pouvoir d’entraîner et d’engager les situations d’une façon fatale et irréparable. Les canons ne sont pas partis tout seuls. On commence à s’apercevoir que le travail de la guerre n’est point aussi avancé que l’on avait été d’abord fondé à l’appréhender. Il reste un coin de terre que la grande marée n’a point envahi, où la raison et l’amour de l’humanité peuvent encore tenir pied ; il reste surtout du temps, un peu