Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE MUSICALE

LE DON JUAN DE MOZART
ET LES DON JUAN AUX THEATRES LYRIQUES DE PARIS

Ce fut une des vives préoccupations de Joseph II d’ouvrir la voie à une musique dramatique nationale. Ce prince, au fond très Allemand en dépit de son cosmopolitisme, sentait qu’il y avait là quelque chose à faire, et s’il ne réussit pas du premier coup, si ses bonnes et libérales intentions commencèrent par avorter, c’est qu’il y avait alors à la tête de la coterie italienne prédominante un de ces roués coquins qui ne sont jamais, en défaut lorsqu’il s’agit de susciter des obstacles et de mettre, comme on dit, des bâtons dans les roues pour empêcher un char d’arriver, ce char fût-il celui d’un petit-fils de Charles-Quint ayant un Mozart à son côté. D’ailleurs que de raisons à ce méchant fourbe de Salieri d’en user de la sorte ! Le directeur de théâtre ici n’était-il pas doublé d’un compositeur d’opéras, et les rancunes de métier, les sourdes et venimeuses jalousies ne venaient-elles pas en aide à ce beau zèle d’un imprésario défendant à outrance les tendances italiennes de son public et luttant jusqu’à la mort pour le dilettantisme de ses abonnés ? L’histoire, qui déjà sous Joseph II n’était pas neuve, devait se reproduire chez nous vers le commencement de ce siècle, alors qu’on vit un autre Italien, également directeur et maestro, entreprendre au nom de Paisiello contre le jeune et brillant auteur du Barbier cette guerre d’intrigues et d’embûches dont Mozart eut jadis tant à souffrir. On a beau être empereur, on ne fait point tous les jours ce qu’on veut, et le monde du théâtre, — un récent décret nous l’enseignerait au besoin, — a de ces résistances opiniâtres sur lesquelles la toute-puissance perd ses droits.