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prompt, embarqua sans autre forme de procès, on s’en souvient, le chef maronite. Enfin, le moment venu pour la Porte de démasquer ses batteries, d’utiliser au profit de ses inexorables desseins le passé de Davoud-Pacha et la sécurité qu’il inspirait au pays, elle s’était contentée de laisser s’évader Youssef Caram, abandonnant sans hésiter à son involontaire, mais inévitable compérage, le succès de cette Savante surprise. L’événement avait mis le sceau à l’implicite brevet de maladresse que le chef maronite avait ainsi reçu des propres mains des Turcs. Militairement, sa réputation n’avait pas résisté à la première épreuve ; politiquement, il n’avait réussi qu’à défigurer la cause nationale et à l’isoler de ses appuis naturels en. lui aliénant les uns, en paralysant les autres. Pour ses plus fanatiques suivans de la veille, il demeurait tout à coup avéré qu’il ne pouvait rien, qu’il ne représentait rien. Que Davoud-Pacha eût profité au premier moment de cette double déception des paysans caramistes, et la soumission immédiate du nord se serait probablement réduite à l’envoi de collecteurs et à l’installation de fonctionnaires. Or c’est ce que ne voulaient ni peut-être Davoud-Pacha ni bien certainement les Turcs. Quelques jours après l’affaire de Gazir, quand Youssef Caram, réfugié dans un couvent, quand les insurgés, rentrés sans bruit dans leurs villages, n’ambitionnaient que l’oubli, et sans que la moindre tentative eût été faite par l’administration pour utiliser cette double abdication de la révolte, un détachement de troupes ottomanes se portait inopinément sur Sogharta, le village d’hiver des Caram.

C’est le propre des soldats turcs d’être en pareille circonstance à la fois cause et effet, de motiver leur action par les animosités mêmes qu’ils provoquent, et, partout où on les juge utiles, de se rendre aussitôt nécessaires. Vingt-quatre heures après, des bandes de paysans exaspérés venaient crier vengeance auprès de Caram. Au lieu de se borner à l’occupation de Sogharta, et bien qu’il n’y eût trouvé ombre de résistance[1], le détachement turc avait pillé et incendié ce village. Les demandes de renforts qu’avait faites si gratuitement Davoud-Pacha allaient enfin se trouver justifiées : l’insurrection était cette fois réelle et sérieuse.

On sait le reste. Dans une entrevue avec le pacha d’origine belge qui commande à Tripoli, Caram offrait de se soumettre à ces seules conditions que les Turcs laisseraient en repos les Maronites, et que le sauf-conduit qu’il demandait pour se rendre auprès de Davoud-Pacha serait cette fois garanti par Constantinople. Pour toute réponse, Davoud-Pacha envoya quatre mille hommes lui porter l’ordre de se rendre à discrétion. Quand la colonne ennemie fut en

  1. Les habitans, avertis à temps par Caram lui-même, avaient déserté le village.