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formules étroites, pas plus que la révolution ne pouvait enfermer dans ses lois draconiennes les destinées du monde moderne. Au-delà du moyen âge, il y avait le christianisme de Pascal et de Newton, de Descartes et de Leibnitz, attaqué en vain par le jésuitisme et l’athéisme ; au-delà de la période révolutionnaire, il y a l’idéal entrevu en 89, qui est resté la foi politique et sociale du monde nouveau. Le jour où l’on verra la foi sociale de 89 se réconcilier avec le christianisme éternel, l’esprit du moyen âge et l’esprit de la terreur auront disparu à jamais.

Mais avant de toucher ce but, combien faudra-t-il encore de remontrances et de conseils adressés à la démocratie française ! Laissez donc M. Edgar Quinet parler sévèrement à la France, car ce que nous prenions tout à l’heure pour un signe de désespoir chez le généreux penseur n’est en réalité que l’expression de ses désirs impatiens. Autrefois il était de ceux qui aiment à saluer dans l’histoire de notre pays une sorte de merveilleuse légende, une longue épopée démocratique où les pouvoirs les plus différens, royauté, convention, empire, faisaient du peuple des Gaules le grand peuple niveleur, et travaillaient à l’envi pour l’émancipation du genre humain. S’il a l’air aujourd’hui de renier ses paroles, s’il détruit cette légende, s’il bouleverse son épopée, s’il condamne la tradition française dans une suite d’écrits où son langage va manifestement bien au-delà de sa pensée, c’est que les amans de l’idéal voient toujours reculer le but au moment où ils croyaient l’atteindre. Plus haut, toujours plus haut ! voilà leur cri de guerre. Ils ont pour mission d’aiguillonner les hommes, de les empêcher de s’endormir dans le contentement d’eux-mêmes. Et qui oserait dire que notre démocratie n’a pas de progrès à faire, pas de vertus nouvelles et par conséquent de droits nouveaux à conquérir avant d’accomplir ses destinées ? Laissez donc l’austère auteur de la Révolution continuer son office de censeur, dussent ses paroles vous blesser plus d’une fois. Les anciens voulaient que le chœur, à travers les péripéties du drame, ne fût pas un personnage abstrait, qu’il eût son rôle distinct, son rôle humain, c’est-à-dire ses passions et ses colères, ; pourvu que l’idée du juste en fût l’inspiratrice. M. Edgar Quinet, alors même qu’il se trompe, obéit aux inspirations d’une âme religieuse ; nous demandons pour lui la même liberté dans les viriles, fonctions qu’il remplit.

Actoris partes chorus officiumque virile
Defendat.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.