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d’espérance, les héros de la terreur sont réduits à leur taille. Quelle grandeur d’un côté ! de l’autre quel fanatisme étroit ! Ceux qui les attaquent au nom de l’ancien régime ne font que les relever au contraire dans l’imagination des hommes, car enfin, quels que soient les crimes des terroristes, si on les confond avec la France des grands jours, ils profitent bon gré, mal gré, de ce rapprochement inexact. C’est à nous de les condamner au nom de la révolution même, comme c’est à nous de rappeler, pour être justes, que la terreur de 93 continue les terreurs de l’ancien monde, et qu’il est impossible de maudire l’une sans maudire toutes les autres. Voilà ce qu’a su accomplir la haute et courageuse équité de M. Edgar Quinet.

Une des parties les plus fortes de ce tableau de la terreur, c’est le moment où la hache frappe non plus l’ennemi, mais l’ami, c’est-à-dire les complices de la veille. Il faut reconnaître qu’aucune des tyrannies du passé n’avait donné pareil spectacle. Cette nécessité de tuer, ce crime d’hier enfantant le crime d’aujourd’hui, l’horrible système devenant plus implacable à mesure que le prétexte invoqué naguère disparaît, tout cela est exposé par l’auteur avec une vigueur de raison et une abondance de preuves qui rendent toute contradiction impossible. Ce sont des vérités gravées sur l’airain ; on ne les effacera plus. Vainement la terreur a-t-elle démoralisé la révolution, dégradé les caractères, avili toutes ces âmes enivrées jadis de passions généreuses, transformé les plus fiers tribuns en courtisans ignobles : Robespierre sent chaque jour qu’il est plus seul au milieu du prosternement universel. Que parle-t-on de milliers de victimes tombées sur l’échafaud ? Une nation entière est frappée au cœur. Toutes les sources de vie sont desséchées, toutes les forces de l’âme anéanties. Ceux-là mêmes qui semblent exercer le pouvoir et diriger l’action, croyez-vous donc qu’ils vivent encore ? On ne vit pas dans le néant ; le vide qu’ils ont fait autour d’eux les tue. Au moment où Robespierre et Saint-Just sont forcés de prendre à eux seuls cette dictature longtemps partagée avec leurs collègues, M. Quinet prouve admirablement qu’ils sont condamnés l’un par l’autre à l’impuissance. Robespierre paralyse Saint-Just, Saint-Just paralyse Robespierre. C’est le dernier résultat de la terreur. « Ceux qui les ont pratiqués de près reconnaissent que l’homme fait pour régner était Saint-Just. Ils disent qu’il y avait en lui l’étoffe d’un grand homme, au moins par lambeaux, qu’il était sorti de la tête de la révolution tout armé de la pique, comme une Pallas de bronze, car il joignait à son froid délire l’intelligence prompte des affaires. Il habitait dans la région des idées et savait manier les hommes et les choses. Il s’entendait à l’administration, aux finances, à la