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révolutionnaires étaient en contradiction avec eux-mêmes lorsqu’ils revenaient au droit antique de la terreur et qu’ils maintenaient en même temps le droit de leur ennemi. Ils ne pouvaient manquer de se briser dans cette contradiction. L’homme moderne détruisait chez eux l’homme antique… Quand on descend au fond du terrorisme, on y découvre ainsi l’âme de deux sociétés absolument incompatibles, l’antique et la moderne, la païenne et la chrétienne. L’une veut qu’on extirpe, sans en laisser de traces, tout ce qui est étranger ou hostile ; l’autre veut qu’on le ménage, ou qu’on le tolère. »

Ménager, tolérer, paroles insuffisantes. Le vrai principe en ces matières, celui par lequel la société moderne s’élève au-dessus de la révolution et se rapproche enfin du christianisme pur, s’appelle le respect du droit de la conscience. Ménagement, c’est affaire de diplomatie et de politique ; tolérance, c’est orgueil. Quelle âme, en fait de croyances, a plus de droits qu’une autre âme ? Quelle conscience peut s’attribuer l’insolent mérite de tolérer le travail de la conscience d’autrui ? Lorsqu’on pénètre ainsi au fond des choses, on s’aperçoit bien vite qu’il n’y a aucune incompatibilité entre l’idéal vrai de la révolution et le vrai christianisme ; l’un et l’autre ont voulu le droit de l’homme, et si le christianisme historique, le christianisme défiguré par le moyen âge, déshonoré par la corruption italienne de la renaissance, avili par l’ancien régime, avait bien des leçons à recevoir de la révolution, combien plus encore la révolution avait de vérités sociales à puiser dans le christianisme pur ! Jamais peut-être l’esprit des temps nouveaux n’a été mieux inspiré que le jour où il a dit par la bouche de M. de Lamartine :

Les siècles page à page épèlent l’Évangile ;
Vous n’y lisiez qu’un mot, et vous en lirez mille.


Les deux sociétés incompatibles, M. Quinet le dit très bien, c’est l’antique et la moderne, la païenne et la chrétienne, l’une voulant exterminer les croyances adverses, l’autre obligée par son principe de respecter la vie de l’âme. Maintenons cette loi. Tout ce qui est conforme au principe païen dans le tumulte de la révolution est condamné à la fois par l’esprit de 89 et par l’esprit de l’Évangile. C’est un retour au passé, c’est un plagiat des âges barbares, et si la terreur de 93 est plus odieuse peut-être que les odieuses terreurs du moyen âge et de l’ancien régime, plus odieuse que la Saint-Barthélémy et les dragonnades de Louis XIV, c’est qu’elle est manifestement plus criminelle, étant venue après nos immortels écrivains du XVIIIe siècle, apôtres de la justice et de l’humanité.

Je regrette que l’éloquent auteur de la Révolution n’ait pas