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religieuse, point de fondation durable. Et puisqu’il ne dit pas au nom de quelle religion il a jeté ces violentes clameurs, j’en conclus qu’il s’agissait pour lui, à son insu, de la seule religion qui ne puisse être dépassée, et que son inspiration est bien autrement chrétienne qu’il ne le pense. N’est-ce pas une des âmes les plus chrétiennes de nos jours qui, faisant allusion à cette absence de vie religieuse, un des fâcheux caractères du monde moderne, laissait échapper ces paroles : « Un peuple qui s’est dépouillé entre les mains de l’état du droit individuel d’avoir une opinion doit devenir un peuple frivole ? Les questions les plus graves et les plus sublimes qui puissent occuper une âme humaine lui étant soustraites, il n’a plus à s’occuper que des intérêts passagers de la vie et du culte des passions… L’autorité s’est chargée de sa croyance ; il la chargerait volontiers de son patriotisme et de son esprit public[1]. » Cet abandon de soi-même, cette démission de la conscience, c’est précisément ce que M. Quinet reproche avec le plus d’amertume à la société, tout ensemble généreuse et frivole, ardente et impie, d’où est née la révolution. Quand il maudit la religion du moyen âge, il appelle en réalité un renouvellement de la vie spirituelle, un de ces renouvellemens auxquels le christianisme se prête si bien selon les peuples et les époques. Seulement, dans l’ardeur de sa prédication, l’apôtre exalté ne gouverne plus ses paroles. Il a de sublimes pensées que dément son langage. Chrétien sans le savoir, il jette des cris de mort contre la religion du Christ. Homme de foi libérale, on dirait qu’il rivalise avec les hommes de la terreur. Fièvre et délire de l’âme ! ces fureurs de langage au service d’une pensée que l’idéal aiguillonne sont chose si éloignée de nous que bien peu de lecteurs en devaient comprendre la signification. Il y a des folies passagères où éclatent, mieux que dans les œuvres correctes du bon sens, les lueurs de la sagesse.


II

La crise terminée, l’historien se retrouve avec ses qualités agrandies. L’espèce de terrorisme religieux qu’il réclamait tout à l’heure n’est plus pour lui qu’une hypothèse, et cette hypothèse va lui servir à juger les événemens de 93 avec une précision redoutable. On n’avait pas encore apprécié la révolution française au point de vue des intérêts de l’âme ; un nouvel instrument de critique est découvert ; M. Quinet le maniera en maître. Quelle vigueur d’attaque ! quelle souplesse d’analyse ! Le système de la terreur a été

  1. Alexandre Vinet, Mémoire sur la liberté des cultes.