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prononcer le mot effarouchant, mais décisif, qui était au fond de la situation et surtout au fond de sa propre pensée, le chef maronite tombait juste dans l’inconvénient qu’il voulait éviter, dans la révolte pure et simple. En proclamant résolument qu’il venait s’opposer à l’installation permanente et définitive des troupes étrangères, dont le règlement n’autorise l’emploi qu’à titre purement accidentel, Caram aurait eu, à tout prendre, la ressource de dire qu’il ne s’insurgeait qu’en faveur de la légalité. En se laissant au contraire donner ou en prenant pour prétextes de sa levée de boucliers un impôt régulièrement établi, régulièrement perçu, et deux arrestations dont l’appréciation n’appartenait qu’aux tribunaux compétens, il se désarmait et se compromettait en droit comme il s’était diminué et isolé en fait.

Grâce à ces malencontreuses diversions, toutes les probabilités sur lesquelles le gouverneur-général avait pu spéculer se réalisèrent de point en point. L’expédition de Gazir aboutit à l’entière déroute des insurgés après plusieurs petits combats, d’ailleurs peu meurtriers, où ils avaient eu à essuyer successivement le feu des Cosaques, de la milice indigène et d’une moitié de la population, dont l’autre moitié ne put même pas tenter de brûler une amorce en faveur de Caram[1]. Davoud-Pacha, qui, tout en voulant bien, dans l’intérêt de sa faveur à Constantinople, faire le jeu des Turcs, comprend cependant qu’il a des apparences à sauver, une position morale à garder vis-à-vis de la France et-de l’Europe, dut ressentir assurément quelque embarras d’une victoire si complète, si facile, et qui justifiait si peu le dernier mot de la comédie, — ces demandes effarées de renforts turcs dont le télégraphe nous a fait la confidence. Davoud s’était même vu au moment de contremander la pièce par défaut de l’acteur principal. Le patriarche maronite et le consulat-général de France étaient intervenus de concert. Après différens pourparlers, durant lesquels Youssef Caram, arrivé déjà près de Sarba, suspendit sa marche, on lui posa comme préliminaires de toute transaction ces trois conditions : « renvoi de sa troupe, — visite à Davoud-Pacha avec une escorte de dix hommes seulement sous la garantie d’un sauf-conduit, — enfin promesse de suivre les conseils du consul-général. » Caram savait que son

  1. On a parlé d’un capitaine français instructeur de la milice libanaise qui aurait figuré successivement dans cette affaire et dans celle qui suivit. Il y a là une confusion. Le capitaine Fain a quitté dès l’année dernière le Liban, où Davoud-Pacha, depuis sa détermination d’étouffer en germe la milice, ne semblait plus le considérer que comme un témoin incommode. Il ne restait dans le Liban qu’un des sous-officiers amenés comme auxiliaires par l’instructeur en chef, et que Davoud-Pacha, qui trouvait naturellement d’un bon effet moral d’avoir un uniforme français à faire trouer par les balles maronites, a mis en avant avec une certaine ostentation.