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prêtre, un instituteur ? Le dernier homme du peuple peut apprendre de ce roi à bien mourir… Il traversa Paris dans le fond d’une voiture fermée, les yeux attachés sur les prières des agonisans et sur les psaumes. Le silence était profond autour de lui. On ne voyait que des haies de baïonnettes, comme si la ville se fût gardée elle-même contre ce mourant. Quand il arriva au pied de l’échafaud, sa lecture n’était pas finie. Il l’acheva paisiblement sans se hâter, il ferma le livre ; puis il descendit de voiture, s’abandonna au bourreau. Comme on s’apprêtait à lui lier les mains, le roi se retrouva dans Louis Capet et s’indigna. Il voulut résister, mais sur un signe de son confesseur le roi céda ; il ne resta que le chrétien. « Je pardonne à mes ennemis, » tous les tambours de Santerre n’ont pu étouffer ces paroles ni les empêcher de retentir dans la postérité. Louis XVI seul a parlé de pardon du haut de cet échafaud où tous les autres devaient apporter des pensées de vengeance ou de désespoir. Par là il semble régner encore sur ceux qui vont le suivre dans la mort avec les passions et les fureurs de la terre. Lui seul paraît en être détaché, déjà posséder le ciel, quand les autres se disputent jusque sous le couteau des lambeaux de partis déchirés. »

Ne croyez pas que ce soit la pitié seulement qui parle ici, c’est surtout la justice, la justice avec tous ses scrupules, ce qu’il y a de plus délicat, de plus profond, et par conséquent de plus religieux dans la conscience. M. Quinet juge la révolution en casuiste irréprochable, quand il craint pour elle non pas tant le regret que le remords. Ce n’est pas assez de blâmer la condamnation de Louis XVI au point de vue politique et d’après les conséquences qui devaient en résulter pour la France ; il ajoute noblement : « La conscience humaine sera toujours mal à l’aise en face de Charles Ier ou de Louis XVI. Selon le droit nouveau des révolutions, ils ont pu être condamnés comme coupables de lèse-révolution ; mais on les avait laissés grandir dans le sentiment d’un autre droit public, où ils étaient irresponsables et infaillibles. C’est la seule légalité dont ils eussent conscience. En les faisant rentrer sous la coulpe commune, on les frappa d’une loi qui leur est étrangère. Aussi, fussent-ils les plus coupables des hommes, il reste une inquiétude éternelle dans l’âme de la postérité, qui juge en dernier ressort la légitimité de l’échafaud. »

Est-ce assez d’exemples pour mettre en tout son relief l’inspiration fondamentale de M. Edgar Quinet ? Dans toutes les crises révolutionnaires où la conscience est en jeu, cette inspiration éclate avec une évidence irrésistible : il a sa foi, il croit à une religion de 89, et quand tous les autres se servent d’une métaphore en parlant de l’ère nouvelle, lui seul emploie un terme qui correspond exactement à sa pensée.