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une impartialité si haute, jamais le rôle de chacun des acteurs et les résultats de la lutte n’avaient été si clairement mis à nu. Après l’agonie du retour de Varennes, l’agonie de la royauté aux Tuileries est appréciée ici par la conscience, même de la révolution. Ce supplice renouvelé de minute en minute, ces outrages, ces ironies, ces pointes d’épées et de piques dirigées contre la poitrine d’un homme sans défense, ces injonctions de sanctionner les décrets suspendus par le veto, ces menaces appuyées sur le canon roulé jusqu’au milieu des salles, toutes ces bacchanales de l’émeute qui arrachent des larmes de honte à la reine, ne peuvent triompher de la sérénité du roi. De là deux résultats trop peu remarqués par les historiens et que met en pleine lumière M. Quinet : humiliée matériellement, la royauté se relève aux yeux de l’esprit, et la république, avec sa timidité morale plus grande encore que ses violences, est frappée de mort avant de naître. « À ce moment, dit l’audacieux historien, on eût pu voir que la monarchie reparaîtrait debout et que le peuple s’écoulerait comme l’onde. Jamais Louis XVI ne fut plus roi que ce jour-là. Qui fut en réalité le vainqueur ? Celui qui refusa de céder. Et quel fut le vaincu ? Le peuple, qui ne put dompter une volonté royale et n’osa pourtant se faire roi. » Je sais bien tout ce qu’on peut répondre au nom de la politique et de l’histoire ; si la révolution, ni en 89 après les journées d’octobre, ni en 91 après Varennes, ni même en 92 après le 20 juin, n’osa rompre une fois pour toutes avec la vieille monarchie, si elle multiplia des outrages qui devaient irriter les ressentimens et rendre toute conciliation impossible, si elle eut l’air de prolonger à plaisir l’agonie du mourant, sa timidité s’explique par les habitudes séculaires de l’esprit français, comme ses violences par l’exaspération de la lutte. Il est facile de dire aujourd’hui : Pourquoi s’être inquiété du départ des émigrés ? pourquoi ne pas avoir permis à Louis XVI de gagner la frontière ? L’originalité du livre de M. Quinet, c’est précisément de ne tenir presque nul compte des perplexités du moment, des émotions farouches de la foule à peine sortie du servage, de ses craintes, de ses soupçons, de cette politique à la fois puérile et gigantesque née de circonstances sans précédens, de ce besoin qu’on croyait avoir d’une royauté frappée à l’effigie révolutionnaire. Tout cela, c’est aux historiens politiques de le démêler, serviteur de la révolution idéale, M. Quinet est persuadé que le peuple de France n’aurait connu ni ces timidités ni ces fureurs, si une pensée religieuse eût soutenu sa conscience. La conscience, la force morale, voilà ce qu’il souhaite à la révolution, voilà ce qu’il envie noblement à ses ennemis.

Quelle hardiesse et quelle nouveauté dans ce point de vue ! Parmi tant d’historiens défenseurs de la révolution, parmi tant