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inévitable. Dans leur Dieu suprême, qui était sans attributs, sans vie, sans réalité quelconque, le sentiment religieux ne trouvait où se prendre ; ces mystiques furent donc entraînés à aimer, à adorer, à prier, à invoquer et à évoquer des divinités inférieures, comme ces pauvres paysans de nos villages, qui, dans leur intelligence bornée, ne pouvant concevoir la puissance et la bonté du Créateur, y pensent moins qu’au patron de leur pays natal, sur lequel leur foi naïve et leurs espérances positives se concentrent tout entières. Ce phénomène ou plutôt cette loi de la pensée contient un grave enseignement qui s’adresse aux athées aussi bien qu’aux panthéistes et aux théistes. Voilà, par exemple, un homme de grande valeur qui eut ce qu’il faut pour créer un mouvement philosophique et fonder une école brillante et féconde ; voilà Plutarque, fils de Nestorius, qui devina le génie de Proclus, et qui, brisé par les années, était encore de force à expliquer à son disciple le Traité de l’âme, d’Aristote, et le Phédon, de Platon. Eh bien ! cet homme, imbu de la métaphysique alexandrine, consultait directement Esculape, et non un médecin, lorsque sa santé venait à faiblir. — Plutarque et Domninus, dit Suidas, étaient malades l’un et l’autre. Esculape, interrogé par eux, leur prescrivit également, quoique leurs maladies fussent différentes, de se nourrir abondamment de viande de porc. Plutarque s’en étonna, et une nuit, s’étant réveillé, il tendit les bras vers la statue du dieu (car il couchait dans le sanctuaire) et s’écria : O dieu, aurais-tu prescrit un tel remède à un Juif ? Aussitôt une voix harmonieuse sortit de la statue et indiqua au malade un autre remède. — Vraie ou fausse, l’anecdote est curieuse et peint cette époque. Socrate, qui croyait à la réalité d’un Dieu excellent et suprême, ne priait pas ainsi.

Toute l’école en était et en demeura là, plus ou moins. Esculape était donc un dieu pour elle, comme les autres habitans de l’antique Olympe. Toutefois il ne serait ni philosophique ni juste de prendre par ses petits côtés cette dévotion mythologique des alexandrins. Dans leur patriotique désir de rester fidèles aux dogmes sacrés de leur nation, ils déployèrent une science et des ressources d’interprétation qui dénotent la morale la plus élevée, le spiritualisme le plus pur. S’ils avaient tort de s’obstiner à ressusciter des choses mortes, ils avaient le mérite de les vouloir sauver par de nobles moyens. Avant Proclus et Olympiodore, un ami de Julien, Salluste, avait systématisé la science interprétative des mythes dans un petit livre élégant, clair et concis, qui a été conservé : c’est vraiment le manuel du symbolisme religieux du néoplatonisme ; mais celui qui se proposera de tracer un tableau complet de ce labeur singulier de l’esprit humain appliqué à concilier, bon gré, mal gré,