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distinguer dans les apparitions les images des dieux de celles des démons, des héros, des archanges, des archontes, des âmes, et ainsi de suite. L’auteur des Mystères répond que chaque puissance apparaît telle que la fait son essence, et là-dessus il dresse une liste incroyable de signes de reconnaissance dont voici quelques échantillons. « Les fantômes des dieux, dit-il, sont simples, ceux des anges plus simples que ceux des démons, mais inférieurs aux fantômes des dieux… Ceux des archontes, qui gouvernent le monde ou les élémens sublunaires, sont variables, mais ils ont de la régularité et de la beauté ; ceux qui gouvernent la matière sont plus divers encore, mais ils sont moins parfaits que ceux des archontes ; enfin les spectres des âmes sont de toute sorte. » Jamblique se payait de ces raisons, où cependant on cherche en vain l’ombre d’une idée scientifique. Sa théorie de la divination est plus spécieuse : elle témoigne d’une certaine finesse d’observation psychologique. Porphyre s’était montré curieux de savoir où l’âme puisait le pouvoir de connaître l’avenir quand elle est possédée de l’enthousiasme prophétique. — L’âme inspirée, disait Jamblique, a échangé son esprit avec l’esprit divin. Elle sait tout en cet état, parce qu’elle vit non plus de sa vie, mais de la vie divine. Et la preuve, c’est que les inspirés semblent n’avoir plus de corps : le feu ne les brûle pas, ils ne sentent rien ; percés d’un dard, ils ne s’en aperçoivent pas ; qu’on les frappe d’un coup de hache, qu’une lance traverse leur bras, ils l’ignorent. Plus rien d’humain n’existe en eux ; vous voyez donc qu’ils sont devenus des dieux, et qu’ainsi ils peuvent avoir la prescience divine. — Ces explications, et une infinité d’autres qu’il serait trop long de citer, ne durent pas satisfaire Porphyre. Toutefois elles étaient habilement appuyées sur les théories alexandrines, qui répandaient partout la nature divine et qui prêtaient à l’âme la vertu de pénétrer dans l’essence et dans l’unité mêmes de Dieu. Cependant il est visible que Jamblique procédait autrement que Socrate et Platon. Ceux-ci avaient autant que possible éliminé l’absurde ; l’auteur des Mystères s’efforçait de le justifier.

Il eut le dessus ; Porphyre fut vaincu, et la théurgie prit le pas sur la philosophie. Tant bien que mal, la superstition populaire était relevée par les savans. Elle reprit une énergie nouvelle, au moins pour quelque temps. Des intelligences distinguées, éminentes même, des femmes remarquables, soutinrent par leurs talens et leurs vertus ce mysticisme païen, d’où devait sortir bientôt la tentative de Julien, qui surprend moins lorsqu’on en connaît les origines. Parmi ces adeptes de la théurgie brille d’un éclat bizarre et charmant la figure à la fois grecque et orientale de Sosipatra. Eunape a raconté la vie de cette personne extraordinaire en des