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malheur il ne subsiste que quelques débris ; mais ces restes ont je ne sais quel air de fierté vigoureuse qui étonne et saisit. Le christianisme militant n’a jamais lancé contre l’anthropomorphisme païen des traits plus brûlans que ces hexamètres de Xénophane :


« Ce sont les hommes qui semblent avoir produit les dieux,
Et leur avoir donné leurs sentimens, leurs voix, leur air.
……….
Si les bœufs ou les lions avaient des mains,
S’ils savaient peindre avec les mains et faire des ouvrages comme les hommes,
Les chevaux se serviraient de chevaux et les bœufs de bœufs
Pour représenter leurs idées des dieux, et ils leur donneraient un corps
Tel que celui qu’ils ont eux-mêmes. »


Voilà en quels termes niait Xénophane ; voici dans quels autres il affirmait :


« Un seul Dieu, supérieur aux dieux et aux hommes,
Et qui ne ressemble aux mortels ni par la figure, ni par l’esprit. »


Un père de l’église, Clément d’Alexandrie, a dit que, dans ces deux vers, Xénophane enseigne l’unité et la spiritualité de Dieu. Le philosophe poète proclamait également l’action de Dieu sur le monde :


« Sans connaître la fatigue, il dirige tout par la puissance de l’intelligence. »


On sait que cette doctrine était ailleurs développée et démontrée. Dans ce qui en a été conservé, on voit à découvert le plus pur et le plus noble théisme. Malgré certaines tendances panthéistes, elle établissait solidement sur l’unité de Dieu sa toute-puissance et sa toute-bonté. Et pourtant ces grandes idées ne furent pas généralement comprises ; trop abstraites et trop obscures, elles ne touchèrent que les philosophes et demeurèrent suspendues, comme celles d’Empédocle et d’Anaxagore, à d’inaccessibles hauteurs, d’où elles ne pouvaient exercer sur la religion populaire aucune bienfaisante attraction. Entre le polythéisme affaibli qui se traînait dans ses ornières et les métaphysiciens dont le vol allait aux nues, il y avait un abîme ; quelqu’un essaya de le combler.

Ce fut Socrate. Il suffit de prononcer un tel nom pour réveiller l’attention la plus endormie et stimuler la plus paresseuse curiosité. Aussitôt s’élèvent en foule des questions graves et délicates sur lesquelles la critique semble n’avoir jamais dit le dernier mot et qui remuent infailliblement les âmes, parce que chacun sent qu’elles se rattachent à la plus précieuse de toutes les libertés, la liberté de conscience. La vie, la mort, l’enseignement de Socrate sont une matière que des travaux innombrables n’ont ni épuisée ni