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d’une haute probabilité, tantôt des conclusions positives et certaines.

Un premier point sur lequel les savans sont généralement d’accord aujourd’hui, c’est que la raison grecque, agissant spontanément, commença par diviniser les puissances de la nature, mais ne tarda pas à les revêtir d’attributs et de caractères moraux très supérieurs en excellence aux facultés humaines, quoique rabaissés trop souvent à nos propres faiblesses. Les emprunts à des sources étrangères, assez rares d’ailleurs, furent promptement transformés et marqués de l’empreinte originale du génie hellénique, qui ne touchait à rien sans se l’assimiler. Ce premier travail, aussi varié que fécond, enfanta un ensemble de croyances qui trouvèrent leur expression dans les œuvres d’Homère et d’Hésiode et firent de ces poèmes les livres sacrés de la Grèce. En étudiant l’Iliade et l’Odyssée, la Théogonie, les Travaux et les Jours, les savans mythographes y ont découvert une théologie polythéiste, mais dominée par la conception d’un Dieu suprême, roi des divinités et des hommes, une esquisse de presque tous les devoirs, et des types éclatans et pleins de vie des vertus religieuses, sociales et domestiques. Ils ont cherché quelle avait été l’influence de ces enseignemens, et ils ont démontré que cette sève s’était partout répandue et infiltrée, tellement que la patrie, la cité, la famille, la poésie, l’art, avaient leur origine dans cette religion primitive, s’y rattachaient par mille liens, et ne faisaient avec elle qu’un corps et qu’une âme. Certes, si les croyances helléniques eussent été purement détestables, la société dont elles étaient le sang et la vie eût peu duré, car l’erreur et la corruption n’ont jamais été des principes d’existence. Elles étaient cependant fort imparfaites ; mais les Grecs eurent cet avantage, car c’en fut un, étant donnés les grossiers commencemens de leur foi, que leur religion n’était pas enfermée dans des cadres inflexibles et immuables. Sans église, sans code de doctrines, sans constitution arrêtée, leur théologie n’était pas close. Souple, élastique, elle se prêta aisément aux mouvemens de croissance de la nation mobile et multiple qu’elle enveloppait, mais qu’elle n’enchaînait pas. De la sorte, ainsi que l’ont remarqué les mythographes allemands et français, elle put s’améliorer chemin faisant et subir, tout en restant debout et en gardant la meilleure partie de son prestige, les changemens que lui imposèrent d’abord le sens moral à mesure qu’il s’éveillait, et plus tard le sens critique stimulé par la raison des sages et par l’examen des philosophes. Cette transition difficile et souvent périlleuse, qui s’appelle le passage de la spontanéité à la réflexion, s’opéra longtemps pour elle comme s’opère chez les enfans sains et bien constitués le passage de l’adolescence à la virilité, par gradations insensibles. Chose remarquable, aucun peuple n’a été, aucun n’est resté jusqu’à la fin aussi