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habitués, sauf quelques rares exceptions, à laisser dans l’ombre la religion et les mythes, il semble qu’il y ait une position intermédiaire. Cette position a été prise, dès le commencement du siècle actuel, par un groupe de savans et de penseurs dont l’exemple a été heureusement suivi et qui ont fait école en Allemagne, en Angleterre, en France[1]. Qu’a gagné à ce changement l’histoire de la philosophie ? Depuis qu’elle a élargi sa perspective, qu’a-t-elle de plus à nous apprendre, d’abord sur le paganisme dans ses rapports avec la philosophie grecque, et plus tard avec le christianisme ? Elle nous apprend que la religion grecque possédait une vitalité interne qui s’est manifestée diversement, mais avec une incontestable puissance sous un triple aspect pendant les luttes de sa longue décadence. Premièrement, cette énergie native, qui avait sa source dans un certain fonds de vérité, a inspiré un respect sincère à la plupart des philosophes grecs qui se sont bornés à réformer le paganisme sans le détruire et ont agi plutôt en hérétiques qu’en ennemis acharnés, et en même temps cette religion, qui se sentait forte encore et soutenue par l’opinion, a traité les premiers réformateurs en adversaires et les a persécutés. — En second lieu, le paganisme affaibli, mais toujours vivace, a pu, trois siècles et demi après Jésus-Christ, faire effort pour se renouveler par une alliance avec les cultes orientaux et par un retour philosophique aux rits antiques. Il espérait ainsi arrêter les progrès du christianisme et devenir la religion universelle. De là une double restauration dont les auteurs furent Jamblique au point de vue religieux et Julien au point de vue politique. — Enfin, péniblement transformé et restauré tant bien que mal, le paganisme eut encore la puissance de résister, à partir du règne de Constantin, à la guerre que lui livra son adversaire. Dans ces luttes dernières, la religion grecque, qui avait

  1. Dans l’édition nouvelle des Fragmens de Philosophie ancienne de M. Cousin, laquelle est châtiée avec une scrupuleuse sévérité et enrichie de morceaux considérables qui sont ici à leur véritable place, on voit mieux que dans les précédentes non-seulement sur quelles études consciencieuses s’appuyaient les célèbres leçons du professeur de la Sorbonne et du maître de conférences à l’École normale, mais encore de quelle façon large et profonde il comprenait l’histoire de la philosophie, dont il a été en France le courageux et infatigable promoteur. En relisant, ainsi coordonnés et complétés, ces Fragmens, où il est tour à tour question de la polémique de Xénophane contre l’anthropomorphisme, du procès de Socrate, des antécédens orphiques et pythagoriques de Platon et du parti qu’il tirait des fables sacrées, de la théologie si compréhensive des alexandrins et de leurs extravagances théurgiques, on est frappé des liens étroits par lesquels M. Cousin, dès ses premiers pas dans la carrière, rattachait les destinées du polythéisme à celles des doctrines métaphysiques. Il s’appliquait sans cesse à retrouver, à rapprocher tous les élémens, toutes les énergies de la vie rationnelle des Grecs, afin d’en saisir et d’en montrer à ses auditeurs les harmonieux développemens. Par là s’expliquent le mouvement et la chaleur qui animent toujours ces pages écrites il y a trente et même, quarante ans.