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le calme qui régnait en Europe, l’année même qui vient de s’écouler a été si peu paisible dans l’Albanie orientale qu’on peut s’attendre, dès la première éventualité, à des complications graves.

Sans doute la lutte est engagée en Albanie entre la domination étrangère et l’esprit de nationalité dans des circonstances particulièrement défavorables : une partie des Albanais a embrassé le mahométisme, et les deux églises chrétiennes sont bien loin d’avoir toujours des sentimens fraternels ; mais, quoique une fraction considérable des populations serbes soit livrée aux mêmes divisions, les luttes religieuses des Bosniaques ont-elles empêché Belgrade de s’affranchir ? D’ailleurs l’attachement des Albanais musulmans à l’islamisme est bien loin de ressembler à la conviction entêtée des mahométans asiatiques. La veille de la Saint-Nicolas, les musulmans de Mercovitch font brûler des cierges devant le portrait de ce saint, dont le nom est si populaire en Albanie, et dont les reliques, transportées dans la Pouille, se sont arrêtées, dit la tradition, à l’embouchure de la Boïana. Les mahométans de Retchi, la tribu des Skreli, célèbrent avec les chrétiens la fête du fameux évêque de Myre. Si la victoire se prononçait pour la croix, ces musulmans ne tarderaient pas à dire comme leurs pères que le ciel n’est jamais du côté des vaincus. Le clergé albanais de l’Italie, dont la tolérance et le patriotisme se sont manifestés dans plus d’une occasion d’une manière si remarquable, ne parviendra-t-il pas d’ailleurs, surtout depuis que les rapports deviennent plus fréquens entre les deux rives de l’Adriatique, à exercer une action salutaire dans le sens de la conciliation ? En général, les Albanais de l’Italie méridionale, qui ont gardé si fidèlement et si pieusement le culte des ancêtres et des traditions nationales, peuvent rendre des services considérables à leurs frères orientaux. Si la civilisation, si les idées de l’Occident vivifient quelque jour les populations albanaises restées soumises à la domination étrangère, les Albanais exilés en Italie auront efficacement contribué à ce résultat. Le zèle avec lequel ils ont conservé les traditions nationales, leur empressement à s’enquérir des progrès de la science occidentale, leur désir d’appeler sur leurs frères orientaux l’attention et l’intérêt des peuples civilisés auront puissamment contribué au réveil de la nation.


DORA. D’ISTRIA.