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élémens de grec moderne dans la langue des Albanais d’Italie semble devoir être attribuée à cette émigration, composée en grande partie de belliqueux Maïnotes et d’autres Péloponésiens. Le P. Camarda, dont l’autorité est si grande en ces matières, pense que les émigrés sont, sauf un petit nombre de descendans des Hellènes, d’origine toske, puisqu’ils parlent ce dialecte. Des soldats de la croix qui préféraient l’exil à l’islam auraient dû être bien reçus dans cette Italie que les Turcs menaçaient encore ; mais quoique les Albanais italiens n’aient montré aucune répugnance à accepter la primauté du pape et les décisions du concile de Florence, qui se réunit du vivant même de Scander-Beg, leur attachement au rite oriental déplaisait à leurs hôtes. Le mariage des prêtres, la communion sous les deux espèces, la consécration du pain fermenté, etc., semblaient fort suspects à des populations qui attachent, comme toutes les races méridionales, tant d’importance au rite. Les papes eux-mêmes ne parvenaient pas à faire comprendre aux Italiens catholiques le puissant intérêt que l’église romaine avait à ménager les Albanais chrétiens et à respecter leurs coutumes. Il en résulta des vexations dont on trouve la trace dans les historiens nationaux. Pour échapper à ces vexations, plusieurs localités de la Calabre citérieure et de la Basilicate finirent par adopter le rite latin. Dans la Calabre ultérieure, dans la Capitanate, dans la Terre d’Otrante, le rite oriental a disparu, En Sicile, sauf à Bronté et à Santa-Cristina, les Albanais ont conservé le rite antique, qui leur rappelle la patrie.

Les cérémonies des noces et des funérailles (les dernières surtout) étaient aussi empreintes d’un caractère oriental prononcé qui rencontrait peu de sympathie chez les Italiens ; cependant elles se sont assez bien conservées, du moins sur le continent[1]. Dans toutes ces cérémonies, principalement dans les solennités funèbres, le chant joue un rôle considérable. La femme albanaise, illettrée, impétueuse et passionnée, a le don de transformer par l’improvisation les scènes déjà si lugubres des funérailles en un spectacle effrayant. Ces chants funéraires, toujours improvisés par les femmes, sont empreints d’une riche et pathétique poésie ; ils donnent une idée de la violence des sentimens chez ces races primitives. Cette violence ne se révèle pas d’ailleurs seulement dans les fêtes nuptiales ou les cérémonies funèbres : elle éclate dans toutes les grandes épreuves de la vie domestique ou populaire. M. Giuseppe-Angelo Nocili a écrit, sous la dictée d’une vieille Albanaise, le chant

  1. Un Albanais, l’avocat Cesare Morini, a laissé un écrit devenu fort rare sur les noces de ses compatriotes (Memoria su’ riti delle nozze presso gli Albanesi, Naples, 1831). Depuis la publication de cet écrit, M. Dorsa a aussi traité cette question dans ses Ricerche su gli Albanesi (1847).