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mais elle est « un pallicare et un aigle. » Ici, il est vrai, on parle d’une femme âgée « qui préside aux travaux avec honneur ; » mais quand il s’agit de la jeune femme dans la maison de son « seigneur, » la poésie en donne encore la meilleure idée. Elle est comme une « belle baguette d’or, » elle est purifiée à l’égal du plus pur des métaux, elle est un « beau discours facile, » elle est « active comme la navette. » Les femmes albanaises ont grand besoin d’être actives en effet, car jeunes et vieilles sont accablées de travaux de toute espèce, et dans cette société, où pour vivre noblement il faut vivre en oisif, la femme est à la fois ouvrier, laboureur, ménagère… et soldat au besoin. Aussi son mari est-il naïvement présenté comme un bélier majestueux qui précède le troupeau en faisant sonner sa sonnette. Plus jeune, il brille moins par « la tête et par le conseil » que par l’éclat de sa fougueuse bravoure. Son cœur est « armé de pointes ; » dans son œil resplendissent « sept étoiles ; » quand il marche à la façon théâtrale des hommes de ce pays, « sept rayons » s’élancent de ses épaules. Si ses mains sont embarrassées, il tient son glaive « avec les dents, » et il tire son fusil « avec les pieds. »

Ces détails sont empruntés aux improvisations funèbres dans lesquelles les nations pélasgiques exhalent leur douleur d’une manière si pathétique et si originale. Partout, dans la péninsule orientale comme dans la presqu’île italique, j’ai trouvé chez les femmes le don de l’improvisation. Les poésies toskes en offrent bien des exemples. Égarée par la douleur, la sœur d’un aga s’écrie impétueusement : « Idris-Aga, pourquoi ne te lèves-tu pas ? » Ailleurs une orpheline maudit le meurtrier de son père avec une violence toute nationale. « Fracas du ciel, — tonnerre de la montagne, — les maisons branlaient, les toits pétillaient… — Un chien et fils de chien se leva, — et tua l’aga de l’endroit, — Murtisa-Aga ! » Une autre fois on loue dans le mort des vertus essentiellement albanaises. Tantôt il s’agit d’un « glorieux aga, dignitaire du sultan Mahmoud, asile des persécutés et… chef des klephtes, » tantôt il est question d’un certain Hassan, « Hassan le rayonnant, » qui, toutes les fois qu’il sautait dans un retranchement, en revenait « une tête à la main. » Le massacre de Monastir, où périt la fleur de l’aristocratie toske, était propre à inspirer la muse populaire pleurant sur les tombeaux. Dans un de ces chants, la sœur d’une des victimes de la perfidie de Reschid semble avoir devant les yeux les brillans et indomptables soldats qui succombèrent dans cette boucherie : « Braves guerriers et braves compagnons, comme vous éblouissiez les yeux de la terre ! » Elle oublie cependant le deuil général pour ne penser qu’à « la fleur » fauchée avant le temps. Elle s’adresse impétueusement à Abas : « Qui t’a pris tes chères armes, — les pistolets et le