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du triple assassinat compliqué de viol et de vol commis à Sarba par un sous-officier et des soldats du détachement turc, il se manifesta dans les populations du voisinage une émotion que le patriarche, — toujours préoccupé de son système d’assoupissement, — empêcha, bien qu’à grand’ peine, de dégénérer en prise d’armes. Le prétexte était tentant pour qui n’aurait cherché que des prétextes, et Caram ne bougea pas, ne parla même pas, sinon pour répondre aux impatiens et aux faux amis qu’il fallait s’en rapporter au patriarche. Il n’eût même tenu qu’à Davoud-Pacha de faire sortir une réconciliation sincère de cet incident. Très mortifié du début de son détachement turc, cette avant-garde de la future armée de l’ordre, le gouverneur-général s’était empressé de le retirer du Kesraouan. Il en résulta un tel apaisement que Youssef Caram surprenait déjà chez les siens certains regrets qu’il se tînt à l’écart. En dehors de son entourage intime, les regrets dégénéraient même en accusations de stérile entêtement. Cette réaction de l’opinion maronite, dont, nous le savons, il se rendait parfaitement compte, l’attitude de notre consulat-général, le désir du patriarche de regagner, sous le prête-nom de fonctionnaires qui lui fussent personnellement dévoués, une partie de l’influence officielle que le nouveau règlement lui enlevait comme chef de communauté, tout se combinait si bien pour forcer Caram dans ses dernières susceptibilités ou dans ses derniers scrupules, qu’il se laissait déjà, et avec une complaisance visible, désigner par ses amis comme le futur moudir de l’un des deux districts entre lesquels Davoud-Pacha venait de faire diviser le Kesraouan. A coup sûr, le chef maronite avait bien évidemment renoncé, — si tant est qu’il y eût jamais songé très sérieusement, — à toute revanche illégale d’ambition, ou même à la simple préoccupation de s’affirmer et de prendre position pour l’avenir en s’agitant et en agitant le pays. Nous n’en voulons pour preuve qu’un fait resté inaperçu, et sur lequel on ne saurait trop appeler l’attention, car il donne un démenti éclatant, pour le compte non-seulement de Caram, mais encore du Liban tout entier, au double mensonge dont l’intrigue turque vient de colorer son guet-apens d’invasion.

Vers le milieu de l’été de 1865, le gouverneur se rendit à Constantinople pour y réclamer d’abord contre l’amnistie accordée, à la prière d’Abd-el-Kader, aux contumaces druses du Hauran, — amnistie dont, par une susceptibilité et des préoccupations gouvernementales d’ailleurs fort légitimes, Davoud-Pacha entendait demeurer l’arbitre et le régulateur, — et pour y solliciter ensuite un nouveau surcroît de pouvoir et de ressources. En partant, il n’avait Relégué son autorité à personne ; les différens corps constitués restaient ainsi sans lien commun, c’est-à-dire sans moyens d’action ni