Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comparent au soleil. » La mythologie locale, par exemple les sylphes et les lutins, fournit aussi des comparaisons : un soldat non moins préoccupé de la guerre que de l’amour appellera l’objet de ses feux « chère épée au cordon de soie. » D’autres le nommeront simplement « mon cœur, chère joue ronde » ou « cou d’argent. » Un esprit prosaïque dira : « petit mouchoir jaune » ou « rouge. » Dans un pays où la pauvreté développe la cupidité encore plus que l’avarice (l’Albanais donne aussi volontiers qu’il prend), un amant confondra dans la même admiration les pièces d’or d’Autriche ou d’Espagne et le front-d’ivoire de sa maîtresse ; il s’écriera : « Front de ducats, front de colonats. » Ces traits naïfs ne donneraient peut-être pas une idée exacte des Albanaises, qui sont les plus belles femmes de la péninsule orientale, si les poètes ne nous décrivaient assez fidèlement l’impression que peuvent produire leurs charmes. « Tu ne dois pas courir si vite, ma douce amie, car tu brûlerais le village. » L’amour ne saurait être chez ces peuples impétueux un sentimentalisme capable de dicter de mélancoliques élégies comme chez les paisibles Germains, ou de faire jaillir comme en Serbie une source abondante de poésie. C’est une « fièvre d’août » qui expose à « perdre la raison, » qui dérange l’esprit, qui réduit le corps à la plus extrême maigreur, qu’on peut comparer en un mot aux maladies les plus communes de cette contrée volcanique, où l’été le sang aisément s’enflamme, où les têtes facilement s’exaltent et se désorganisent. Aussi avec quelle rage doit s’exprimer un amour contrarié ! Et combien de fois ne peut-il pas l’être chez un peuple où l’usage élève entre les deux sexes une barrière plus difficile à franchir que les murs du gynécée le mieux gardé ! Nous ne sommes plus ici parmi les Serbes, dont les poètes parlent avec une ironique indulgence des filles qui se laissent séduire par de belles promesses et des sermens trompeurs. En Albanie, c’est une honte pour une fille de parler à un jeune homme. A défaut d’une loi sur la séduction, un père, un frère est disposé à faire payer chèrement toute tentative contre l’honneur des vierges. La moindre faiblesse peut avoir pour conséquence en ce pays de vendette les plus sanglantes tragédies. Chez les Mirdites, la coutume semble d’abord plutôt sévère que contraire à l’équité, les deux sexes étant exposés au même châtiment. Si l’adultère est puni de mort chez la femme, qu’on ensevelit sous un tas de pierres, le mari offensé a le droit de tuer son complice partout où il le rencontre ; mais, comme Pouqueville le faisait déjà remarquer, il est difficile de nommer justice le droit accordé à un époux, à des frères ou à des beaux-frères, de disposer d’une femme « sur un simple soupçon et sans enquête. » Même à Hydra et à Spetzia, avant la guerre de l’indépendance, les Albanais avaient conservé cette jurisprudence, condamnée solennellement