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de diverses familles dont les circonstances ont tellement lié les intérêts qu’elles se traitent comme si elles étaient issues de la même souche. Quoique les idées de hiérarchie aient jeté en Albanie de si profondes racines qu’on a pu nommer la Mirdita, gouvernée par son chef et ses « vieillards » (conseillers héréditaires), « une république aristocratique, » il s’en faut que les membres les plus modestes des clans, surtout dans ceux qui admettent l’élection, soient exclus de la participation aux affaires communes. L’autorité du chef des Mirdites est même fort restreinte, et cette autorité serait presque nulle, s’il ne savait acquérir une influence personnelle sur la population. Dans les familles pas plus que dans la tribu, la naissance ou la fortune ne donne le droit de mépriser aucun Albanais, et le serviteur est plutôt traité comme un enfant de la maison que comme un domestique. Environné d’ennemis, le phar sait qu’il ne doit attendre son salut que de l’accord de ceux qui le composent, et que si chacun ne s’intéressait pas au salut de tous, si les plus humbles n’étaient pas satisfaits, le caractère fier et vindicatif de la nation exposerait le clan aux plus terribles catastrophes.

Les populations albanaises se partagent, comme les anciens Hellènes, en quatre fractions : les Guègues (Djègues ou Albanais rouges), les Toskes (ou Toskas), les Liapes (Lapes ou Japides), et les Chamides (Djamides ou Tchames). Quelques historiens, comme le père Camarcta, voudraient les réduire à deux groupes, les Guègues et les Toskes, séparés par les eaux du Skoumbi, comme lorsqu’on se contente de partager les Français en Français du nord et en Français du midi, séparés par la Loire. Au point de vue où nous nous plaçons, il est d’autant plus convenable d’accepter cette dernière classification que les Liapes, les plus barbares des Albanais, n’ont pas de chants populaires connus, et que les Chamides n’ont pas d’autre organe de leurs aspirations que la muse hellénique.

C’est à M. de Hahn que revient le mérite d’avoir le premier songé à recueillir les traditions populaires (chants et proverbes) des Toskes. Consul d’Autriche à Janina, il était bien placé pour étudier les populations de l’Albanie méridionale. Les chants qu’il a rassemblés sont surtout relatifs à la vie domestique. Les vingt-sept chansons qu’il nomme « érotiques » nous donnent une idée suffisante de la manière dont les Toskes comprennent l’amour. La jeune fille qui l’inspire est décrite avec des traits primitifs empruntés tantôt à la nature, tantôt à des détails caractéristiques de costume. Dans le premier cas, on la nomme « petite baie rouge, baie rouge dans la forêt, bourgeon, ambre, citron, orange, front d’orange, oiseau éblouissant, rossignol d’été, bartavelle aux ailes d’or. » Il est à peine nécessaire d’ajouter que les jeunes Albanaises pourraient dire comme l’Espagnole de Heine : « Je suis ennuyée de tous ces cavaliers qui me