Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Macédoine et les descendans des Gaulois de Sigovèse établis en Illyrie ? L’histoire a mieux conservé la mémoire des guerres entreprises par Pyrrhus contre Rome quand ce prince se jeta sur l’Italie et entraîna la race albanaise à sa suite dans ses exploits et dans ses revers ; on connaît les hardies campagnes et la fin tragique du courageux Épirote, les dangers qu’il aurait fait courir à la puissance romaine, s’il avait trouvé en Italie des alliés dignes de lui. Il est curieux de voir, dans l’original récit de M. Mommsen, la ressemblance des soldats de Pyrrhus avec les condottieri albanais de notre temps. Pyrrhus mort, Teuta vaincue, la Macédoine et l’Illyrie deviennent romaines, mais les indomptables Chkipetars n’acceptent pas sans protester le joug du vainqueur. Ils n’étaient pas encore tout à fait soumis longtemps après Constantin[1]. Voici un chant, recueilli à la fois par M. Crispi et M. Dorsa, qui semble indiquer que, malgré leur goût pour les armes, les Chkipetars n’allaient pas toujours sans regret servir « l’Éternité » qui régnait à Byzance, quoiqu’il leur arrivât de conquérir à la cour un rang distingué.


« Pendant trois jours, j’ai vu en rêve — mon petit Constantin. — L’empereur lui a ordonné — de partir pour la guerre. — Le jeune homme respectueux — a pris congé de moi et de sa mère chérie, — et ensuite de sa belle, — dont il a eu pour gage un anneau, — et à laquelle il a dit avant de partir : — « Adieu, ma chère belle, — je serai loin de toi neuf ans, — neuf mois et neuf jours. — Toi, ma belle, prends un mari. » — Maintenant les neuf ans sont passés, — les neuf mois et les neuf jours, — et la belle est devenue la fiancée d’un autre, — et elle lui donnera sa main dimanche.

« Mais dans la soirée des fiançailles on entendit au milieu de la nuit, sous la tente de l’autocrate, retentir un soupir si grand que le sommeil de tous fut interrompu. Quand le matin arriva, il se leva du lit, fit battre les tambours et réunir en cercle les bouliars (gentilshommes) et les guerriers. — Dites-moi, ô seigneurs, qui de vous a soupiré cette nuit. — Chacun l’entendit sans faire de réponse, mais enfin Constantin répondit : — Moi, malheureux, j’ai soupiré. — A qui s’adresse ce soupir ? — Mon soupir va loin. — Constantin, mon cher, descends dans mes écuries, — et parmi mes chevaux, choisis celui qui est noir comme l’olive, celui qui est blanc comme la colombe ou celui qui est rapide comme l’épervier. — Constantin prit congé, choisit le coursier rapide comme l’épervier, le monta, et le pressa avec les éperons. Le jour des noces, le misérable vieillard fuyait le pays,

  1. On dit même qu’ils inspiraient aux empereurs de Byzance assez d’inquiétude pour que ceux-ci aient cru devoir établir sur le sol albanais des colonies latines dont quelques traces subsistent encore. On trouve en effet, à l’état de groupes dans l’Albanie méridionale et de massif compacte le long de l’Achéloüs, des populations qui parlent une langue analogue au roumain ; mais la tradition fait remonter les colonies latines de l’Albanie aux Romains conquérans de la Macédoine. Quant aux savans des principautés, ils sont plutôt disposés à croire que ce sont des colons établis par les rois bulgares de la dynastie d’Asan.