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de chaleur, tombe également sans force, et le ballon monte toujours. Déjà M. Glaisher, graduellement envahi, par la torpeur, a perdu l’usage de ses mains mais il tient entre ses dents la corde de la soupape, et lorsqu’il sent qu’une seconde, une seule, le sépare de la mort, lui et ses compagnons, alors il laisse échapper le gaz, et le ballon dégonflé s’arrête enfin, pour descendre graduellement vers les campagnes situées à 11,000 mètres au-dessous. Quel noble courage de la part de ces hommes risquant la mort avec tant de simplicité d’âme, et cela pour le seul avantage d’étudier la température d’une atmosphère où ni l’homme ni l’oiseau ne peuvent vivre ! Certes ce serait bien rabaisser cette force d’âme et ce calme du savant que de les comparer au courage brutal du soldat se jetant au plus épais de la mêlée furieuse, enivré de poudre, de tapage et de sang !

Tandis que, par le double amour de la nature et de la science, des hommes comme MM. Tyndall et Glaisher gravissent les sommets difficiles ou s’élancent en ballon dans l’espace, des milliers d’autres Anglais, dont la carrière est plus modeste, car un bien petit nombre d’entre eux peuvent espérer de conquérir la gloire, se risquent sur un autre élément pour arracher des naufragés à la mort. Sans doute le sentiment de l’humanité entre pour beaucoup dans le dévouement de ces infatigables rameurs des life-boats qui se hasardent sur les lames bouillonnantes au milieu des plus horribles tempêtes, pendant ces effrayantes et sombres nuits où le pilote distingue à peine son équipage, et ne peut même faire entendre sa voix à travers les hurlemens de l’air ; mais dans cet admirable sacrifice de leur personne les sauveteurs ne se laissent-ils pas entraîner aussi par l’immense attraction qu’exerce sur eux la beauté de la mer en fureur ? C’est une forte joie bien faite pour tenter de grands cœurs que celle de lutter contre les lames, le vent, l’orage, les ténèbres, et de vaincre tous ces ennemis à force de courage, de présence d’esprit de discipline volontaire et d’héroïque persévérance ! Certes les rudes marins qui pendant les nuits de naufrage s’élancent au secours des navires en perdition sont bien les descendans des anciens rois de la mer, ils aiment la mer sauvage autant que leurs ancêtres, et comme eux ils se rient de la mort ; mais leur ambition est plus haute. Au lieu de mettre leur gloire dans le meurtre et la rapine, ils se sont donné pour mission d’arracher des victimes à la mort, ou même simplement de retrouver leurs cadavres. Qu’étaient ces expéditions consacrées avec tant de persévérance à la recherche de John Franklin et de ses compagnons, sinon des tentatives de sauvetage faites sur une grande échelle ? L’amour de la lutte et du danger coule dans le sang de l’homme ; mais les vrais héros commencent à comprendre que, pour assouvir leur passion de combat, il est plus noble