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soient, ils donnent leur argent pour faire dire des messes ; leur vive imagination fournit une prise stable à la religion des rites.

C’est pourquoi ils ne sont que très médiocrement patriotes. Dans la dernière campagne, nos officiers les trouvaient mieux disposés pour les Autrichiens que pour les Piémontais. L’administration allemande avait été régulière, assez douce, même paternelle pour les paysans ; ceux-ci, ne lisant point et ne s’occupant point de politique, n’avaient point de mauvais vouloir contre elle. Quand l’orgueil et le sentiment national manquent, peu importe que le maître soit étranger ; il suffit qu’il laisse danser, boire, faire l’amour et qu’il paie bien les services. Un batelier, homme avisé comme ils le sont presque tous, me disait : « Les Autrichiens étaient de bonnes gens ; ils faisaient beaucoup travailler ; le commerce allait mieux de leur temps. Ils n’étaient mauvais que pour les signori, et parce que les signori étaient toujours contre eux. Aujourd’hui les signori sont contens, ils ont tout, leurs fils sont officiers. Ce sont les pauvres qui sont malheureux ; aucun paysan n’a de bien, toute la terre est aux riches. Un journalier gagne trente sous par jour, le kilogramme de viande coûte 85 centimes, le kilogramme de pain 40 centimes, et l’on paie autant d’impôts qu’auparavant. » — Cette race intelligente et sensuelle ne voit qu’un but à la vie, le plaisir et l’oisiveté. Un bourgeois du pays me disait : « Ils voudraient jouir et ne rien faire, » et ils estiment un gouvernement d’autant plus que sous lui leurs amusemens et leur loisir sont plus grands.

En revanche, les bourgeois et les nobles, tous ceux qui ont un habit de drap et lisent les journaux sont passionnés pour l’Italie. En 1848, Milan a combattu trois jours et chassé les Autrichiens avec ses seules forces. Quand les Français après la victoire de Magenta entrèrent dans la ville, la joie, la reconnaissance, l’enthousiasme montèrent jusqu’au délire. Un soldat parut d’abord, il était seul ; le concours des gens qui le fêtaient et l’embrassaient fut tel qu’il ne pouvait plus se tenir debout ; sa tête allait deçà, delà ; il fléchissait d’épuisement. Un peu après, les premiers bataillons arrivèrent. Les jeunes filles avec leurs mères allaient dans la rue embrasser les soldats, même les turcos. Ces bataillons restèrent quinze jours ; cafés, restaurans, tout était à leur discrétion, on ne leur permit pas de payer un centime. Impossible à un Milanais de faire apporter une glace chez soi, tout était pour les Français ; impossible à un Milanais malade d’avoir un médecin, ils ne soignaient que les blessés français. Après la bataille de Solferino, les dames venaient les visiter dans les hôpitaux ; toutes les maisons particulières s’en étaient remplies, on se les disputait ; plusieurs capitaines guéris épousèrent de riches héritières. Ce n’est pas que les Autrichiens fussent