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— Michel-Ange l’énergie tragique qu’il trouvait dans son âme de combattant, — Léonard la supériorité exquise et pensive dont il laissa l’exemple à ses élèves de Lombardie.

Voici encore deux galeries qui renferment ensemble six ou sept cents tableaux, et sur lesquelles le seul parti sage est de se taire. J’en ai seulement noté cinq ou six, d’abord le Mariage de la Vierge de Raphaël. Il avait vingt et un ans, et copiait avec quelques petits changemens un tableau du Pérugin qui est au musée de Caen. C’est une aurore, la première aube de son invention. La couleur est presque dure et découpée en taches nettes par des contours secs. Le type moral des figures viriles n’est encore qu’indiqué ; deux adolescens et plusieurs jeunes filles ont la même tête ronde, les mêmes yeux petits, la même expression moutonnière d’enfant de chœur ou de communiante. Il ose à peine, sa pensée ne fait que poindre dans un crépuscule ; mais la poésie virginale est complète. Un grand espace libre s’étend derrière les personnages. Au fond, un temple en rotonde muni de portiques profile ses lignes régulières sur le ciel pur. L’azur s’ouvre amplement de toutes parts, comme dans la campagne d’Assise et de Pérouse ; les lointains paysages, d’abord verts, puis bleuâtres, enveloppent de leur sérénité la cérémonie. Avec une simplicité qui rappelle les ordonnances hiératiques, les personnages sont tous en une file sur le devant du tableau ; leurs deux groupes se correspondent de chaque côté des deux époux, et le grand-prêtre fait le centre. Au milieu de ce calme universel des figures, des attitudes et des lignes, la Vierge, modestement penchée, les yeux baissés, avance avec une demi-hésitation sa main où le grand-prêtre va mettre l’anneau de mariage. Elle ne sait que faire de l’autre main, et avec une gaucherie adorable la laisse collée à son manteau. Un voile diaphane et délicat effleure à peine ses divins cheveux blonds ; un ange qui l’aurait posé ne l’eût pas posé avec un soin et un respect plus chaste. Elle est grande pourtant, saine et belle comme une fille des montagnes, et près d’elle une superbe jeune femme en rouge clair, drapée d’un manteau vert, se tourne avec la fierté d’une déesse. C’est déjà la beauté païenne, le vif sentiment du corps agile et actif, l’esprit et le goût de la renaissance qui percent à travers la placidité et la piété monastiques.

Le contraste est bien fort quand on regarde le dernier des grands peintres de la renaissance, Corrège et son Repos de la Vierge. Le tableau est signé Antonius Lætus[1], et, quoiqu’on doute s’il est de lui, je me permets de le trouver charmant. Deux jeunes femmes,

  1. Lætus, forme latine d’Allegri.«