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Le gothique est du dernier âge, inférieur à celui d’Assise ; au dehors surtout, les grandes lignes disparaissent sous l’ornementation. On n’aperçoit qu’aiguilles et statues ; quantité de ces statues sont du XVIIe siècle, sentimentales et gesticulantes, dans le goût du Bernin ; les principales fenêtres de la façade portent l’empreinte de la renaissance, et font tache. Au dedans saint Charles Borromée et ses successeurs ont plaqué en vingt endroits les affectations de la décadence. Un pareil monument dépasse les forces de l’homme ; on y travaille depuis cinq cents ans, et il n’est pas fini. Quand une œuvre exige un si long temps pour être achevée, les révolutions inévitables de l’esprit y laissent leurs traces discordantes : ici paraît le caractère propre du moyen âge, la disproportion entre le désir et la puissance ; mais devant une telle œuvre la critique n’a pas de place. On la chasse de son esprit comme un intrus, elle reste à la porte et n’essaie même pas de revenir. D’eux-mêmes les yeux s’écartent des portions laides ; ils s’arrêtent pour garder leur plaisir sur quelques tombeaux du grand siècle, celui du cardinal Carraciulo[1], surtout devant la chapelle de la Présentation, du sculpteur Bambaja, homme inconnu qui vivait au temps de Michel-Ange. La petite Vierge monte l’escalier, parmi de superbes corps d’hommes et de femmes dressés ; un vieillard maigre regarde, et sa tête osseuse dans son énorme barbe frisée est d’une fierté sauvage ; une femme à gauche entre les colonnes a la vive beauté de la plus florissante jeunesse. Plus loin, une autre Vierge entre deux saintes est un chef-d’œuvre de simplicité et de force. Nous ne connaissons pas et nous ne pouvons mesurer tout le génie de la renaissance : l’Italie n’a exporté ou ne s’est laissé prendre que des fragmens de son œuvre ; les livres ont popularisé quelques noms, mais, pour abréger, ils ont omis les autres. Au-dessous et souvent à côté des grands hommes connus, il y a une foule.


Les églises et les musées.

On cite une autre église célèbre, San-Ambrogio, fondée au IVe siècle par saint Ambroise, achevée ou restaurée plus tard en style roman, munie de voûtes gothiques vers l’an 1300, et parsemée de morceaux divers, portes, chaire, revêtemens d’autel, pendant les âges intermédiaires. Une cour oblongue l’annonce par un double portique. Une grosse tour carrée la flanque de sa masse sombre et rougeâtre. Des débris de sculptures plaqués dans le mur font des portiques une sorte de mémorial effacé et incohérent. Le vieil édifiée lui-même élève son pignon lézardé sur un double étage d’arcades. Le portail est étrange, tout rayé et bigarré de fins ornemens de pierre ;

  1. 1538.