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réserve, qui simulait la froideur. Sa chevelure était d’une nuance unique, ni dorée, ni cendrée, traversée plutôt de ces reflets verts qu’on voit sur les épis prêts à mûrir. Quelques-uns de ses traits étaient trop marqués peut-èti-e ; d’autres, surtout la bouche, avaient une délicatesse exquise, et l’ensemble arrivait à la beauté, une beauté sévère et mignonne, altière et pure, dont la plus grande gloire était d’être à peine visible au commun des hommes. À tous Violante apparaissait douée d’une grâce extraordinaire ; mais, pour la trouver vraiment belle, il fallait avoir surpris son âme dans ses yeux.

Ils étaient bleus, souvent un peu durs, le regard toujours droit, le sourire, — car il y a le sourire des yeux, — rapide et brillant comme un météore. La flamme s’y allumait aisément, et M. de Bochardière se troublait bien vite lorsque, dans leurs querelles journalières, sa fille, animée par l’impatience, le regardait fixement, cherchant à lire sa véritable pensée, qu’il cachait par goût et par habitude, non contente de le combattre, ardente encore à le vaincre ; leurs deux cœurs pouvaient bien se rapprocher quelquefois, mais leurs âmes demeuraient ennemies. Violante était prompte à la riposte, opiniâtre dans la dispute. L’avocat se jugeait battu dès qu’elle ajoutait le geste à la parole ; il quittait la partie quand il la voyait agiter ses petites mains avec leurs doigts semblables à des fuseaux d’ivoire, des doigts de fée, des mains d’enfant. Après ces entretiens rompus par l’orage, il arrivait à M. de Bochardière de suivre Violante des yeux à travers ses beaux jardins ; il l’épiait au tournant de ses allées, derrière ses charmilles, et il l’observait avec un mélange bien explicable d’étonnement, de remords léger et d’insurmontable crainte. Était-ce donc bien là sa fille ? Certes il la trouvait belle, lui qui était le père ; mais était-ce la beauté qu’il lui eût souhaitée ? Il la regardait de loin ; cette tournure souveraine le ravissait au moins pour un moment, et il se gonflait d’orgueil à l’idée que Violante n’avait pas un air moins noble que toutes les nobles dames de la contrée, puis aussitôt une remarque venait qui lui gâtait sa joie et lui rendait son ivresse amère. Le grand air de Violante valait bien en effet celui des grandes dames qu’il connaissait et honorait si fort ; mais ce n’était point celui-là, c’était autre chose qu’il goûtait mal, qui le blessait : c’était mieux peut-être ; pourtant ce mieux, il ne le comprenait pas. Qu’on imagine la surprise d’un avocat qui, longtemps séparé de la fille qui lui doit le jour, s’aperçoit en la revoyant au bout de dix-neuf ans qu’il a mis une Minerve au monde. Voilà ce qu’avait éprouvé M. Lescalopier de Bochardière, cinq années auparavant, quand Violante lui avait été rendue ; mais aussi pourquoi l’avait-il quittée ? C’est que M. de Bochardière avait une histoire. Heureux les pères