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gravité, ils optaient avec d’autant moins d’hésitation pour le dernier parti que, dans l’application de la peine, Davoud-Pacha tenait toujours et très largement compte de leur plus ou moins de docilité.

L’organisation de l’impôt ne présenta pas plus de difficultés et nécessita encore moins d’expédiens que celle de la justice. En dépit des raisons sérieuses et des prétextes de réduction fournis par les désastres de 1860, le medjlis administratif central avait accordé sans opposition, dès le début, 7,000 bourses, c’est-à-dire le double des anciennes taxes, le maximum éventuel autorisé par le règlement, et, selon la bizarre logique de toute cette situation, c’est aux rivalités mêmes des votans qu’une pareille unanimité était principalement due. Là bien plus encore qu’au sein du medjlis judiciaire central, où la question politique ne surgissait qu’incidemment, les six communautés, en se trouvant pour la première fois en présence, étaient bien moins préoccupées de se concerter que de s’observer et de ne pas se livrer. Devant la réaction de bienveillance et de confiance dont le gouverneur-général était déjà l’objet, chacune d’elles eût craint de se trouver seule à lui marchander ses moyens de gouvernement, et, comme conséquence, de s’attirer des représailles qui l’eussent amoindrie au profit des autres communautés, d’être exclue des positions officielles assez nombreuses dont disposait-le pouvoir exécutif[1]. La grande maxime arabe que dure oui ménage tout et n’engage rien, la réflexion non moins arabe dont furent certainement assaillis les membres du medjlis, qu’en rognant le budget ils rogneraient leurs propres traitemens, ne durent pas être non plus sans influence sur ce vote inespéré.

Les payans ne furent pas tout à fait d’aussi facile composition que les votans. Des protestations fort vives, et suivies plus d’une fois du refus de s’acquitter, s’élevèrent de divers points du pays contre le doublement de l’impôt ; mais, sauf dans le Kesraouan, Davoud-Pacha n’eut point trop de peine à faire comprendre aux contribuables que le double impôt, bien loin d’être une aggravation de charges, était cinq ou six fois moins onéreux que l’impôt simple. D’abord ce qu’on demandait au pays n’était maintenant dépensé que pour le pays, par le pays et dans le pays, en s’y répartissant jusqu’au dernier para entre les nombreux agens indigènes des divers services publics[2]. En second lieu, l’impôt

  1. Pour les divers services de l’administration centrale, pour les gradés dans la gendarmerie, le droit de nomination dévolu au gouverneur n’était limité par aucune condition de rite.
  2. Ceci est rigoureusement vrai. Tout insuffisante qu’elle était, la subvention payée par le trésor turc, qui, aux termes du règlement, est obligé de pourvoir aux excédans obligatoires de dépenses, couvrait et au-delà le traitement du gouverneur-général et des deux ou trois chefs de service étrangers qu’il s’était adjoints.