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perspectives pour ceux qui nous remplaceront !… Vous trouverez encore que le roi de Prusse ne s’est pas démenti et oublié…, et c’est à celui-ci qu’on prête l’oreille qui veut faire une alliance entre la France, la Russie et lui pour nous tenir tête…, comptant, si la paix se fait, qu’elle ne subsistera pas longtemps, et pour nous retenir ou écraser il vous flatte, vous autres. Il fait toutes les avances et cajoleries possibles, on connaît cela, quand il veut venir à son but ; mais, y étant, il oublie tout et fait même tout le contraire, ne tenant jamais sa parole. La France en a fait l’expérience et tous les princes de l’Europe, hors la Russie, qu’il craint. » A travers ces lamentations chevrotantes de la vieille femme, on sent encore la grande souveraine, et le portrait tracé de cette main tremblante paraît toujours ressemblant. La jeune Antoinette épousa chaudement la cause de sa mère et de son frère. Elle aussi, elle a des traits qui peignent. « J’ai fait venir MM. de Maurepas et de Vergennes. Je leur ai parlé un peu fortement, et je crois leur avoir fait impression, surtout au dernier. Je n’ai pas été trop contente des raisonnemens de ces messieurs, qui ne cherchent qu’à biaiser et à y accoutumer le roi. Je compte leur parler encore, peut-être même en présence du roi. Il est cruel dans une affaire aussi importante d’avoir affaire à des gens qui ne sont pas vrais. » Le frivole et vieux Maurepas, l’honnête et sage Vergennes faisaient, on le voit, comme les fortes têtes de tous les temps : ils biaisaient, et entretenaient les hésitations naturelles de Louis XVI. Le roi se taisait avec la reine ; celle-ci l’attaqua un jour avec vigueur. « J’ai été désarmée, écrit-elle, par le ton qu’il a pris. Il m’a dit : Vous voyez que j’ai tant de tort que je n’ai pas un mot à vous répondre. » Après bien des mois d’inquiétude, après l’invasion de la Saxe et de la Bohême par Frédéric II, les choses s’arrangèrent. Maurepas et Vergennes finirent par être d’avis « que le roi de Prusse aurait tout le tort, si malgré les propositions de la chère maman il ne consentait pas à la paix. » La Bohême avait été pillée à merci par les Prussiens. L’empereur demandait la médiation de la France. « Il nous faut la paix, écrivait Marie-Thérèse, et la plus prompte sera la meilleure, sans congrès ; il y a trop d’intérêts à démêler. » La paix fut conclue un peu aux dépens de l’Autriche, et Marie-Thérèse se consola de ses sacrifices en songeant que les pauvres peuples ne seraient plus foulés. On relit non sans charme ces vieilles histoires quand elles ont pris dans le lointain un air de conte de fée ; mais on frémit quand on songe que ce conte de fée peut redevenir demain une histoire sanglante, et que les pauvres peuples seront encore massacrés et pillés pour la plus grande gloire des prétentions dynastiques et des combinaisons d’une diplomatie maladive ! Nous ne savons quelles résolutions l’Autriche est à la veille de prendre. Nous faisons des vœux pour que la cour de Vienne comprenne qu’il n’est point de son intérêt d’attaquer l’Italie, que sa véritable ennemie dans cette déplorable circonstance est non l’Italie, mais le gouvernement prussien. L’opinion publique