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la chambre populaire ne pourraient jamais être mis d’accord ; il a vu que la force réelle, effective, était par l’armée dans les mains du roi : il s’est emparé du souverain en flattant ses préjugés, et a écarté le parlement avec ce dédain de bon ton que professent de nos jours pour les assemblées représentatives les grands hommes d’état du continent. Il n’a pu, assure-t-on, obtenir le consentement du roi à une guerre entreprise pour l’expulsion de l’Autriche du Holstein. Le roi Guillaume aurait trouvé le prétexte des duchés trop petit pour motiver une si grande guerre. Il a dit à son ministre qu’il ne consentirait à prendre les armes que pour accomplir la mission allemande de la Prusse : de là est née la proposition de réforme fédérale avec convocation à Francfort d’un parlement élu par le suffrage universel. Il n’est guère probable que cette idée ait été prise au sérieux par M. de Bismark. Le ministre prussien connaît trop bien la diète et les cours des états moyens pour avoir pu croire que son projet serait adopté. Il n’y avait là pour lui qu’un nouveau sujet de querelle à mettre sur le métier en attendant les incidens qui pourraient fournir un prétexte à l’action brutale. Un incident de cette nature n’a point tardé à survenir. Les états moyens avaient fait, comme les gros, des préparatifs militaires. Il a plu à M. de Bismark de choisir sa voisine la Saxe pour cible à ses premières sommations. Quand la Prusse se croit forte, elle est violente et brusque envers les petits ; M. de Bismark ne permettra point à la Saxe d’équivoquer. L’Autriche ne peut manquer de secourir la Saxe. En voilà assez pour commencer la guerre, si l’on veut. Une chose qui étonne dans ce qui se passe à Berlin, c’est l’abstention de la Russie, l’effacement de son rôle, ou l’impuissance de ses représentations auprès de la famille royale de Prusse. La Russie ne peut voir avec indifférence les projets unitaires de M. de Bismark. Un homme d’état classique comme le prince Gortchakof doit être scandalisé des présentes manifestations de l’ambition prussienne. Autrefois la famille impériale de Russie exerçait sur la famille royale de Prusse un ascendant reconnu par celle-ci avec une sorte de gratitude religieuse. Cette vieille influence est-elle engourdie ou usée ? Les ombrages de la Russie ne sont-ils point réveillés par la candidature d’un Hohenzollern à la principauté de Roumanie ?

L’Autriche est intéressante dans cette crise à un point de vue : elle est la victime d’une agression systématique et acharnée. On veut à tout prix avoir une querelle avec elle. Tout en reconnaissant que l’hostilité préméditée dont elle est l’objet lui donne auprès du public une figure plus honorable que celle du cabinet de Berlin, on ne peut s’empêcher de se rappeler les fautes récentes qui ont conduit le cabinet de Vienne à ce difficile défilé. C’est l’éternelle histoire de l’Autriche dans ses rapports avec la Prusse. La cour de Vienne veut avoir et mérite souvent un renom d’honnêteté et de dignité : cela ne l’empêche point d’accepter les complicités que lui offre la cour de Berlin quand il y a quelque mauvais coup à faire ; puis